Déjà que traîner nos guêtres du côté de Babylone ne nous enchantait guère, alors de là y jouer les prolongations … Macron, en s’attaquant à l’âge de départ en retraite des français, soulève tollé mais aussi interrogations : Le salariat est-il extensible à l’envi? Y-a-t-il des corps de métiers pouvant supporter la charge du travail pendant quasi quatre décennies ? Cette question vaut-elle pour les rockers ? Faut-il imposer à ces derniers un âge de départ en retraite ? Qui a encore envie de voir Mick Jagger gesticuler sur scène accompagné de sa sonde jusqu’à ses 120 ans ? Tant de questions légitimes et fondamentales que nous allons tenter d’éclaircir aujourd’hui.
Affirmons-le d’entrée, de tous les clichés sur le rock (grattouiller quelques accords, forniquer et consommer des quantités industrielles de drogue), peu semblent répondre aux critères de pénibilité au travail. Outre les décès prématurés inhérents à la discipline, il semblerait que rien n’empêche nos musiciens favoris d’exercer leur art ad vitam æternam. Le débat n’est donc pas tant de savoir si les rockers peuvent maintenir des conditions physiques respectables pour jouer à 60 ans révolus mais bel et bien de statuer si cela est souhaitable.
Le rock, dès sa naissance, s’est imposé comme la musique de la jeunesse, bande-son d’une génération en rébellion contre celle de ses aînés. De My Generation à Satisfaction, de l’attitude aux thématiques, l’énergie brute et l’insouciance dégagées ont défini leur époque comme rarement auparavant. Célébration d’un âge déterminé, excluant de facto ceux n’y appartenant plus. Quand McCartney chante When I’m 64, c’est en croulant désherbant son jardin qu’il s’imagine et non en rock star encore dans le circuit. On retrouve aisément des interviews de jeunes musiciens de la British Invasion clamant qu’ils ne s’imagineraient pas faire de vieux os dans le rock’n’roll circus.
Grand mal leur a pris de ne pas écouter leurs propres conseils. Eux, chantres de la rébellion juvénile se voient déjà considérés comme des dinosaures seulement une dizaine d’années après leur éclosion par la nouvelle génération punk. « No Elvis, Beatles or The Rolling Stones in 1977 », scande le Clash sur son premier album. Le rock ne pardonne pas le vieillissement. L’authenticité n’est l’apanage que des jeunes loups ayant tout à prouver, tout à écrire. Le rock’n’roll train roule à pleine vitesse et n’accepte pas la carte Vermeil. Comment expliquer que le rock arbore la plus belle collection de martyrs sacrifiés sur l’autel du club des 27 ? La seule pensée d’atteindre la trentaine semble inacceptable pour un genre dévoué au credo « Live Fast, Die Young ».
Si le bluesman s’anoblit avec l’âge comme une bonne gnôle, le rocker, lui, a plutôt tendance à tourner au vinaigre. Peut-on passer le test du temps de manière crédible lorsque l’on chante à soixante ans passés les amours adolescentes et des excès désormais révolus ? Certes, le rocker prend toujours autant de pilules, mais le viagra a depuis belle lurette remplacé les amphétamines.
Chaque nouvelle génération de rocker pousse l’ancienne vers la sortie mais semble oublier cette dure loi une fois installée sur le trône. De fait, la machine à nostalgie n’a jamais autant tourné qu’aujourd’hui. Si l’on observe le traitement médiatique du rock ou simplement les unes de la presse spécialisée, quelle part est accordée à la relève du genre ? Minime. Reformations, tournée anniversaire, rééditions et même désormais hologrammes de macchabées ; tous les regards se tournent vers le passé. La célébration des papys rockers, comme on aime à les appeler, concentre toute l’attention. On s’extasie et on nous rabat les oreilles à grands coups de « dis donc, ils sont encore sacrément en forme pour leur âge ». Voilà bien une phrase qu’on ne devrait pas entendre dans une salle de concert mais uniquement dans un service de gériatrie.
Si le phénomène pourrait prêter à sourire devant la naïve beauté qu’il y a à observer un grabataire tenter de courir guitare au cou, il faut également être conscient de l’effet pervers qui en découle. En incitant ces musiciens à poursuivre leur carrière, en faisant de leurs tournées d’adieu sans fin LES événements rock du moment, c’est la relève qui en pâtit. Ceux qui tentent d’écrire le rock au présent, d’en poursuivre la mythologie en publiant des albums sensationnels mais condamnés au silence médiatique, se retrouvent éclipsés par ceux qui, un demi-siècle auparavant, luttaient contre le conservatisme de leurs aînés.
Et puis, qu’ont-ils réellement encore à nous offrir ces rockers à carrière longue ? Plusieurs routes pré-établies se dessinent :
– l’école AC/DC : ne jamais éteindre les moteurs du rock’n’roll train. Sortir un nouvel album tous les septennats environ (généralement oscillant entre le médiocre et le pas trop mal) pour justifier les attestations de sortie de la maison de repos.
– l’école Rolling Stones : ne même plus se fouler à sortir de nouveaux opus et user son répertoire jusqu’à la corde devant un parterre de fans grabataires et/ou bourgeois.
– l’école Ramones : décéder les uns après les autres pour ne plus être soumis à la tentation de la reformation. Une attitude radicale mais noble.
Trois écoles pour un seul et même résultat : un retour inévitable de l’auditeur nostalgique vers les œuvres originelles. S’obstiner après 60 ans ; non, vraiment, ce n’est pas sérieux.
…
Oui, mais voilà.
Parfois.
Parfois, une dernière école ouvre ses portes, réservée à une petite élite. Un petit miracle survient et les muses, qui depuis longtemps s’étaient fait la malle, reviennent toquer à la porte de l’EHPAD pour offrir à nos sexagénaires un dernier baroud d’honneur. Un album qui, de la première à la dernière track, pourra rivaliser sans honte avec les sommets de leur jeunesse : peaufinage d’un art pratiqué pendant plusieurs décennies et porté à son paroxysme ou réinvention totale et jusqu’au-boutiste.
Voici neuf albums de seniors que nous vous conseillons d’écouter en intégralité sur les sites appropriés et dont notre playlist du jour se veut un modeste tour d’horizon.
Buddy Guy – Sweet Tea (2001)
On l’a dit, les bluesmen ne subissent pas les affres du temps. Certains ont même l’outrecuidance de rajeunir. Buddy Guy le démontre sur ces neufs titres éclatants de fraîcheur. Le Benjamin Button de Louisiane.
Bob Dylan – « Love and Theft » (2001)
Entre 1997 et 2006, Dylan publie une trilogie d’albums où il retrouve pleinement une inspiration perdue provisoirement les deux décennies précédentes. La voix du jeune troubadour des sixties s’est muée en celle d’un vieux bluesman ayant roulé sa bosse mais son art du songwriting intact couplé à des sonorités jazz manouche, blues et rockabilly font de Love and Theft, deuxième volet du lot, un indispensable d’une discographie débutée quasi quarante ans auparavant.
Paul McCartney – Chaos and Creation in the Backyard (2005)
C’est pour avoir donné ses lettres de noblesse à la pop que McCartney fût adoubé Sir. Une quête de la mélodie parfaite qui se poursuit sur ce millésime 2005, épaulé par le radioheasque producteur Nigel Godrich.
David Gilmour – On an Island (2006)
Oubliez Roger Waters et son mur en carton-pâte, l’âme du Floyd s’appelle David Gilmour.
Patti Smith – Banga (2012)
Dernier album en date de la poétesse punk dont la prose humaniste sonne juste peu importe les générations.
Neil Young – Psychedelic Pill (2012)
Si la vieillesse est un naufrage, alors Neil ne sort jamais sans sa bouée canard. Pour preuve, Driftin’ Back, pièce centrale de l’album et jam de quasi une demi-heure, à 67 balais passés. Insubmersible.
Robert Plant and The Sensational Space Shifters – Lullaby and the Ceaseless Roar (2014)
Les appétences de M. Plant pour les musiques du monde sont connues de longue date. Le live No Quarter enregistré avec son ami zeppelinien Jimmy Page et un orchestre égypto-marocain fait toujours office de référence en la matière quasi trente ans après sa sortie. Sur ce cru, il décide de moderniser le propos en faisant cohabiter volutes orientales, pointes de musiques électroniques et son timbre de voix mythique.
Iggy Pop – Post Pop Depression (2016)
Alors lui, il nous les aura toutes faites. Pub pour le Bon Coin, reprise de Joe Dassin et reformation en demi-molle des Stooges. Les papiers pour la maison de repos étaient prêts à partir. C’était sans compter sur l’ami Josh Homme, échappé des Queens Of The Stone Age pour sauver l’Iguane et lui composer ses meilleurs titres depuis 1977. Ce sont d’ailleurs les fantômes de The Idiot qui planent au-dessus de cet album rédempteur.
David Bowie – Black Star (2016)
Maître de son œuvre jusqu’aux ultimes instants, Bowie publie cet album testament trois jours avant sa mort. Une narration savamment orchestrée qui ne doit pas faire oublier le contenu de ce Black Star ; pérégrinations jazz-rock cryptiques qui rejoignent les sommets de la discographie la plus innovante de ces cinquante dernières années.

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