2022 touche à sa fin, mettant un terme à un sacré millésime d’actualités et de polémiques. Celle dite du Barbecue a enflammé les débats et ses braises commencent à peine à s’éteindre à l’heure où les tartiflettes remplacent doucement les chipolatas. En tissant des liens entre viande grillée et virilisme, la députée écologiste Sandrine Rousseau s’est attirée les foudres du lobby de la merguez et des groupuscules radicalisés de la brochette. Et étrangement ce sont ceux qui aiment le plus jouer à qui a la plus grosse … spatule qui s’en sont le plus offusqués. Les mêmes qui attendent en meute autour de la grille pendant que Madame prépare la salade en cuisine sont parmi les premiers à décrier ce lien entre bidoche et machisme. Comment nier cette image d’Épinal de mâles blancs réunis autour de la grille en écoutant du blues rock aussi graisseux que la viande qu’ils font cuire ? En effet, quoi de mieux qu’un bon ZZ Top autour du feu ? Un petit AC/DC en retournant l’entrecôte ? Ou un Lynyrd Skynyrd des familles en décapsulant sa binouze ? Tous ces groupes que l’on range souvent sous le terme rock à papa seraient-ils la parfaite playlist du petit viriliste ? Voyage aux origines du mâle.
Pour commencer, accordons-un rapide coup d’œil aux artistes introduits au Rock’n’Roll Hall of Fame. Institution américaine qui, si elle vaut ce qu’elle vaut, permet d’avoir une bonne vue d’ensemble de l’histoire du rock avec un grand H (ou hasch si vous êtes fan de Grateful Dead) en « canonisant » chaque année de nouveaux artistes ayant marqué le genre. À ce jour, ce sont environ 60 femmes qui y trônent parmi les quasi 720 artistes représentés. Soit un faramineux total de 8 %. Guère étonnant qu’Alanis Morisette ait refusé de s’y produire début novembre en critiquant ouvertement « un environnement qui réduit les femmes ».
Dans la chronologie du rock, il a fallu attendre une dizaine d’années après le premier single d’Elvis pour voir une femme jouir du statut de rockeuse (les pionnières que sont Aretha Franklin, Dusty Springfield, Ma Rainey ou The Supremes officiant plutôt dans les catégories soul et rythm and blues). Ce n’est qu’à la fin des années 60, durant le Summer of Love que Janis Joplin ou Grace Slick du Jefferson Airplane deviennent des figures majeures de la scène hippie alors en vogue et peuvent concourir avec les protagonistes masculins de l’époque. Durant cette période dite dorée du rock’n’roll, les mâles règnent en maître et la gente féminine se contente principalement du rôle de groupie ou de muse pour une poignée d’élues. Il est de bon ton aujourd’hui de blâmer le rap pour sa misogynie, ses clips aux femmes sexualisées à outrance et ses valeurs machistes prônées. Un simple arrêt sur image permettrait de se pencher sur le passé, pas si glorieux, de nos si respectables rockers. Qu’elles soient infantilisées à grands coups de « baby, baby » ou membres d’un harem comme sur la pochette d’Electric Ladyland, les femmes ne semblent pas jouer les premiers rôles dans le théâtre du « Sex, drugs and rock’n’roll ». Un adage qui profite en réalité bien plus à la gente masculine. Pour preuves, les désormais légendaires orgies de Led Zep ou les collections de (très) jeunes groupies accumulées par les glam rockers des seventies qui, si elles ont forgé la mythologie sulfureuse de nombres de groupes, ne seront plus célébrées encore longtemps dans un monde post #MeToo.
Dès les origines, le rock’n’roll se pourvoit d’un sous-texte machiste où l’homme est le guitar hero au long manche (parfois même double manche dans la compétition phallique du hard rock) qui, entre deux riffs bien virils, se doit, soit d’enchaîner les conquêtes, soit de protéger sa fragile dulcinée. Ou carrément de manifester ouvertement sa supériorité ou son animosité envers les femmes. Petit florilège de lyrics pour étayer nos propos.
Some Girls – Rolling Stones. Un combo racisme et sexisme choquant même dans les années 70, c’est dire.
« Black girls just wanna get fucked all night / I just don’t have that much jam / Chinese girls are so gentle / They’re really such a tease / You never know quite what they’re cookin’ / Inside those silky sleeves »
Run for Your Life – Beatles. Quand même les maîtres de la bluette s’essaient aux menaces de mort.
« Well, i’d rather see you dead, little girl than to be with another man / You better keep your head, little girl or i won’t know where i am / You better run for your life if you can, little girl »
A man needs a maid – Neil Young. Le Loner en mode Houellebecq.
« I was thinking that maybe I’d get a maid / Find a place nearby for her to stay / Just someone to keep my house clean / Fix my meals and go away »
Only Women Bleed – Alice Cooper. Ou comment mettre en chanson les violences conjugales.
« He got the power, oh she got the need / She spends her life through pleasing up her man / She feeds him dinner or anything she can / He slaps you once in a while and you live and love in pain »
k@#0%! – Korn. No comment.
« Fuck you titty suckin’ two balled bitch with a fat green clit / My big conhoto bitch / Oh shit, fucking ass licking piss sucking cunt / these nuts on your lips Kentucky fried Kung-Pao clits / I have fought to find somethin’ to say / But now I’ve found somethin’ to say / Fuck you Punk ass bitch »
Alors comment trouver sa place dans ce circuit testostéroné ? Comme souvent, c’est au fond des canettes de bières chaudes de la scène punk que l’on trouvera les réponses les plus radicales. Sans oser affirmer que ce mouvement fut le parachèvement des idéaux féministes, il faut souligner l’importante place que les femmes ont pu y prendre. Patti Smith, The Slits, Blondie, Nina Hagen, Siouxsie Sioux, Poly Styrene de X-Ray Spex ont toutes participé à l’effort de guerre et écrit l’histoire de ces quelques années qui ont secoué le Royaume-Uni et le reste du monde. La scène est alors en ébullition et des initiatives apparaissent comme Rock Against Sexism (inspiré du frère d’armes Rock Against Racism) ; suite de concerts où se succèdent les meilleurs groupes du moment pour promouvoir les scènes féminines et dénoncer le machisme de l’industrie de la musique. Les punkettes foutent les Doc Martens dans le plat et vont inspirer sans le savoir la génération de musiciennes féministes la plus radicale qui soit.
Les Riot grrrl débarquent avec fracas au début des années 90 pour propager la démonstration la plus virulente et engagée de féminisme musical à ce jour. Portées par le succès du grunge (Cobain sera d’ailleurs un fidèle allié de la cause), ces musiciennes reprennent l’héritage de leurs aînées punk en corsant radicalement le discours. Bikini Kill, Heavens to Betsy et autres Bratmobile publient coup sur coup des pamphlets à l’humour corrosif et aux textes au vitriol dénonçant patriarcat, violences conjugales, viols, racisme, homophobie et anti-capitalisme. Convergence des luttes, nous voilà ! De telles revendications n’iront évidemment pas sans rencontrer leur lots de détracteurs, parfois même parmi les musiciens mâles de la scène rock se sentant certainement menacés par une telle énergie. Il faut dire que certaines chansons ont dû donné quelques sueurs froides au gratin misogyne de l’époque. Nouveau petit florilège de lyrics nous laissant entrevoir un champ lexical bien différent des paroles mâles sus-citées.
White Boy – Bikini Kill
« I’m so sorry if I’m alienating some of you / Your whole fucking culture alienates me / I can not scream from pain down here on my knees / I’m so sorry that I think / White boy don’t laugh don’t cry just die »
Dead Men Don’t Rape – 7 Year Bitch
« I don’t have pity not a single tear / For those who get joy from a woman’s fear / I’d rather get a gun and just blow you away »
Do You Like Me Like That – Bratmobile
« The only thing you know is your rich boy world / You’re talking politics on your pedestal / And you half-baked idea of « what it means to be a girl » / But you can’t feel how we suffer or we bleed / You can’t give us what we want, much less what we need »
Terrorist – Heavens To Betsy
« You follow me on the fucking street / You make me feel like a piece of meat / You think I don’t know what war means / Now I’m the terrorist, see how it feels »
« Eat my used tampon fuckers » – L7
Pas réellement des paroles de chanson mais se remémorer cette anecdote où Donita Sparks a balancé son tampon usagé sur une foule de beaufs la chahutant ne fait jamais de mal.
De manière générale, les années 90 marquent un tournant pour la représentation des genres dans le milieu rock. Les femmes ne se cantonnent plus aux rôles stéréotypés (le cas d’école des femmes bassistes ne mettant pas en péril la sainte alchimie du duo guitariste / chanteur) et l’hyper-virilisation des hommes venue du hard rock touche à sa fin. Le grunge emporte alors tout sur son passage et les bad boys machistes des Guns N’ Roses se retrouvent supplantés par les écorchés pro-féministes que sont Nirvana. Les nineties voient l’émergence d’un nouveau type de rock star : le nerd. Weezer, EELS, Teenage Fan Club ou la victoire du gringalet à lunettes. Exhiber sa virilité cesse d’être un critère pour paraître une rock star crédible. Des groupes masculins n’hésitent plus à afficher leur soutien à la cause féministe, sans avoir peur de mettre en cause leur street cred. Actuellement, les bruitistes IDLES se font les portes-étendards d’une nouvelle scène cherchant à se débarrasser de ses vieux réflexes patriarcaux. De nouvelles voix et de nouveaux discours émergent chaque jour : droits des personnes trans (par Against Me ou G.L.O.S.S), body positive (par Beth Ditto de Gossip), More Women on Stage (par Lola de Pogo Car Crash Control), intersectionnalité (par Big Joanie) etc.
Bien sûr, comme l’a démontré le mouvement Me Too, la route est encore longue pour transformer le milieu musical en réel safe place, en France comme ailleurs, mais la visibilité des femmes n’a jamais semblé aussi importante qu’en ce moment, comme en témoigne la recrudescence des girl bands et le succès d’estime de frontwomen charismatiques. Est-ce à dire que le rock se débarrasse lentement mais sûrement de ces oripeaux virilistes ? Espérons-le. Bientôt peut-être, n’aurons nous plus besoin d’utiliser le terme de « rock de daron » pour décrire un son bien pêchu et les riffs « couillus » seront décrits par une quelconque autre partie de notre anatomie.
Pour que le barbecue cesse d’être une pratique viriliste, commençons par en modifier la playlist !
Source image en tête: http://surlespasdacdc.canalblog.com/archives/2015/03/10/31681177.html

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