Janvier ne vous a jamais semblé si long. Vos nuits sont hantées par des rêves moites où batifolent Maître Kanter et la Veuve Cliquot©. Écouter la moindre note de musique irlandaise vous colle des sueurs froides. Votre tension est irrémédiablement bloquée à 8.6. Pas de doute, vous voilà dans la dernière ligne droite du dry january ; ce phénomène de société en passe de détrôner la galette des rois et les résolutions illusoires comme nouvelle tradition de début d’année. Lancés dans la sainte quête d’un mois entier sans alcool, vous n’êtes plus qu’à deux jus de tomates de virer totalement straight edge. Volontairement reconfinés chez vous chaque soir pour échapper à la tentation, vous vous interrogez : que serait votre vie sans alcool ? Que serait le monde sans alcool ? Le rock’n’roll serait-il sans alcool ? La main de Lemmy sans une bouteille de Jack Daniels© au bout ne serait-elle qu’un moignon ? Le fait que le leader de Coldplay ne boive pas d’alcool explique-t-il la médiocrité de sa musique ? Le fait de répéter tant de fois le mot « alcool » en seulement trois lignes est-il révélateur de votre addiction ?
« I’m going where the water tastes like wine / we can jump in the water stay drunk all the time ». Voilà ce que fredonnaient les hippies de Canned Heat en 1968. Des paroles hédonistes qui auraient pu rester bien innocentes si les rockers n’avaient pas tendance à pousser les potards à l’extrême et à augmenter les doses jusqu’à la déraison. « Modération » et « parcimonie » sont des termes inconnus pour ceux qui ont parfois abusé de la bibine jusqu’au corbibillard. Rien de tel pour forger un mythe mais peu pratique pour poursuivre son œuvre. En effet, combien de légendes rock’n’roll sont intimement liées à la consommation d’éthanol ? La prétendue voiture plongée dans une piscine par Keith Moon, Jim Morrison arrêté pour attentat à la pudeur pour avoir dévoilé son bazar en plein concert, la cuite d’un an et demi de Lennon surnommée le Lost Weekend, les frasques avinées des Hollywood Vampires, ce club de boisson composé d’Alice Cooper, Ringo Starr, Harry Nilsson et … Keith Moon encore lui…
Pendant longtemps, il semblerait que la street cred d’un musicien ait été mesurée à sa propension à ingurgiter des spiritueux. Les industriels ne s’y sont d’ailleurs pas trompés en cherchant à associer leurs marques de boissons aux plus fameux groupes pour booster leurs ventes et se forger une imagerie bad ass. Il existe un Jack Daniels© Motörhead et une absinthe Marilyn Manson. La liste des groupes ayant leur propre bière est longue comme un jour de dry january : Iron Maiden, AC/DC, Metallica, Kiss … Des canettes qui ne raviront que les tégestophiles, le liquide contenu étant généralement juste bon à finir noyé dans du picon.
Hélas, chaque bouteille a un fond sur lequel nombre de musiciens viennent s’échouer : pétages de plombs sur scène, réputations affectées (Metallica fut un temps renommé Alcoholica par ses propres fans), frasques poussées à l’extrême (Joe Walsh des Eagles se réveillant ivre à Paris sans se souvenir être monté dans un avion au départ des States) et comas éthyliques fatals (Bon Scott, John Bonham). Un mode de vie ravageur que l’on peut soit poursuivre jusqu’à la cohérente mise en bière ou décider d’abandonner de manière radicale. Comme dirait l’autre, la boisson, c’est comme la France, on l’aime ou on la quitte. Et c’est pour cette seconde option que de nombreux rockers ont opté. Un chemin de croix tant la place prédominante de l’alcool dans ce milieu reste un tabou.
Un article du Guardian intitulé « Hard-partying bands are the outliers now’: how rock’n’roll broke up with booze and drugs » nous apprend que ce tabou se craquelle néanmoins doucement. Aux États-Unis et en Angleterre, des associations et collectifs ont été montés pour venir en aide aux personnes du métier en proie à ces démons. Si beaucoup ont quitté ce milieu pour ne pas céder à la tentation, d’autres tentent de changer les choses de l’intérieur en influant peu à peu sur cette image d’artiste forcément en état d’ébriété permanent : évoquer que l’alcool n’est pas qu’un lubrifiant festif mais aussi un réconfort solitaire et malsain lors de tournées sans fin, prouver qu’il n’est ni honteux ni discréditant d’être un musicien amateur de thés et autres boissons détox. La route est encore longue pour changer totalement les perceptions tant cette mythologie est ancrée dans les esprits. L’importance des témoignages de rockers repentis est à cet égard d’autant plus précieuse.
Alice Cooper fut l’un des premiers à parler ouvertement de sa lutte contre l’alcool et de son combat pour retrouver les chemins de la sobriété. Alcoolique émérite au début des années 80, il décide de troquer son addiction contre la pratique régulière du golf. Difficile d’imaginer sur un green l’homme qui empale des poupées de nourrisson sur scène… et pourtant. Cooper échappera à ses démons par le sport et, en abordant ouvertement le sujet, mettra à jour un tabou bien ancré dans la culture rock. Il aidera personnellement certains musiciens côtoyés en tournée (dont Dave Mustaine de Megadeth) et en inspirera d’autres : Slash, Ringo Starr, Tom Waits, James Hetfield sont désormais des modèles de sobriété retrouvée. Leur exemple est repris sur de nombreux sites de prévention et de groupes de soutien. Si de tels « druides de la chopine » (pour reprendre la si belle expression de René Fallet) ont réussi à refréner leurs addictions, alors pourquoi pas vous ? Désormais attitude revendiquée, sober is the new cool.
Un dilemme semble toutefois tirailler chaque musicien sur le point d’arrêter la bouteille. Les cimes artistiques atteintes ne l’ont-elles été qu’à l’aide des paradis artificiels ? Authentiques génies ou simples poivrots touchés par la grâce de la Fée Verte ? Le rocker a-t-il besoin d’être dans un état second pour composer des chefs-d’œuvre ? Tom Waits, qui fût dans sa jeunesse l’incarnation de l’ivrogne céleste, ira même jusqu’à dire que ce doute est l’une des raisons majeures empêchant les artistes de tendre à la sobriété. Quand certains ne jurent que par la lucidité et l’inspiration retrouvées une fois sobres, d’autres louent les vertus des spiritueux pour stimuler l’euphorie créative.
Existe-t-il une réponse objective à ces questions ? Pas sûr. Toutefois, les recherches en neurosciences et psychologie cognitive menées au laboratoire des Interrockations nous ont permis de mettre à jour un schéma récurrent dans le parcours excès / sobriété des rockers. Nommée ici la Théorie Aero-Crüe, cette étude s’appuie sur le vécu de deux groupes de hard rock des années 70 et 80 aux destins similaires et qui pourrait s’étendre au cas de nombreux autres artistes. Il est à noter que les données statistiques ne reposent pas entièrement sur l’absorption d’alcool tant lui est indissociable la consommation industrielle de stupéfiants de ces drogués patentés. D’où des résultats pouvant être parfois approximatifs ou erronés.
– Phase 1 : débuts en fanfare, absorption massive de poudres et liquides divers, fougue juvénile créatrice inarrêtable. Félicitations, vous publiez un ou plusieurs albums mythiques.
– Phase 2 : quand le récréatif devient routine, la qualité de votre musique s’en ressent. Vous ne sortez plus que des albums médiocres n’intéressant plus que très vaguement votre fanbase originelle.
– Phase 3 : Finie la déglingue ! L’heure est à la sobriété. Avec ces nouveaux sens retrouvés et un esprit enfin clairvoyant, c’est l’album du retour en grâce. Chef-d’œuvre assuré et nouvelle consécration populaire. Interview type : « Être sobres nous a reconnectés à nous-mêmes. Quel aurait pu être notre parcours sans tous ces égarements de jeunesse ? ».
– Phase 4 : C’est parti pour un nouveau cycle d’albums ne cassant pas trois pattes à un canard. La sobriété ne fait pas tout. Peut s’accompagner d’une rechute.
– Phase 5: Vous concluez que ni l’alcool ni la sobriété n’influent sur l’inspiration. Passé un certain âge, vous ne devriez plus faire de rock’n’roll. Vous décidez donc de repartir pour une énième tournée et de capitaliser sur la nostalgie de vos fans. Vous réalisez la pertinence du propos de l’Interrockation numéro II.
Voilà assurément un travail scientifique qui devrait nous attirer les faveurs de l’Institut Nobel. En attendant de recevoir un appel de Stockholm, nous patienterons gentiment dans notre rocking chair un picon à la main. Et pour vos esgourdes, pas de dry january non plus. Ci-dessous, un pack de 16 à écouter jusqu’à plus soif !
Source image en-tête: https://www.thesun.ie/tvandshowbiz/music/9227146/shane-macgowan-exotic-photoshoot-naked-romp-pete-doherty/

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