X – Brexit: une bénédiction pour les mélomanes britanniques ?

Nous célébrions cette semaine les trois ans de l’entrée en vigueur du Brexit. Un événement qui, non content d’avoir ébranlé un continent entier, préfigura également toute une série de catastrophes planétaires : pandémie mondiale, guerre aux portes de l’Europe et pénurie de moutarde jusqu’en Bourgogne. Aussi amères qu’une Indian Pale Ale, ces trois dernières années ont laissé le loisir à nos voisins d’Outre-Manche de méditer sur leur décision. 1 brexiter sur 5 souhaiterait revenir sur son vote si cela était possible et 2 britanniques sur 3 seraient pour la tenue d’un nouveau référendum. 87 % des sondés souhaiteraient quant à eux que les Arctic Monkeys cessent de sortir des albums d’apprentis crooners sous anti-dépresseurs et reviennent aux sons de leur début. Un chiffre sorti de nulle part, n’ayant rien à voir avec cette enquête mais qu’il nous semblait juste de divulguer. Si son impact se fait cruellement ressentir au quotidien, il s’agit toutefois de voir la pinte à moitié pleine et d’accorder au moins un mérite au Brexit : avoir offert aux citoyens britanniques le retour d’une scène rock aussi véhémente que talentueuse. Post-Brexit New Wave, Post-Brexit Core, Post-Brexit Post Punk, si le nom n’est pas encore arrêté, l’idée est là : la sortie de l’Union Européenne a stimulé les foules créatrices et acté la naissance d’une nouvelle scène. Toute une frange de la jeunesse du Royaume-Uni a émergé et fait ressusciter un rock politique british en hibernation depuis belle lurette.

Débutons par un flashback, voulez-vous. 30 avril 1978. Margaret Thatcher n’est pas encore arrivée au pouvoir mais le terreau social est déjà annonciateur de ce que seront les années d’austérité menées par la Dame de Fer. L’économie est en berne, les idées xénophobes trouvent un écho grandissant au sein de la population. Le National Front fait de plus en plus d’adeptes dans le pays et ce, même au sein de la population rock. Eric Clapton, adulé Outre-Manche et pourtant biberonné au blues afro-américain, affiche éhontément sa haine des étrangers et son soutien aux leaders suprémacistes. En plein concert à Birmingham, il ira même jusqu’à demander à ses fans d’origines étrangères de quitter sa salle, puis son pays. C’est à cette époque apaisée qu’émerge la scène punk. Jamais une culture underground n’avait autant remis en cause et choqué l’establishment. Par des frasques, des looks et des attitudes bien évidemment mais qui ne doivent pas éclipser le fond idéologique des propos scandés et des actions menées. En témoigne ce Rock Against Racism, organisé il y a donc bientôt 45 ans et qui demeure encore à ce jour un des sommets du militantisme rock. Sociologues nihilistes de leur temps, les punks ont bien saisi l’ampleur du sentiment nationaliste s’emparant alors du pays et l’urgence d’y répondre. Les cultures punk et skin étant elles-mêmes en proie aux doutes et se scindant entre camps, c’est toute la frange idéologiquement située à l’extrême gauche qui se mobilise et s’organise. Reprenant le credo de Woody Guthrie, « this machine kills fascists », ce seront leurs guitares qui sonneront la révolte. Une grande marche à travers les rues de Londres est organisée avant d’aboutir à un concert à Victoria Park où pas moins de 100 000 personnes viennent acclamer The Clash, X-Ray Spex ou encore Steel Pulse. L’alliance des groupes punk et reggae n’est pas étonnante tant les deux scènes sont de connivence depuis leurs débuts et symbolisent à la perfection l’unité des cultures. Au Royaume-Uni aussi, la jeunesse emmerde le front national et le succès de ce concert se poursuivra sans démentir : mobilisation forte des artistes, tournée à travers le pays et création de festivals jumeaux ailleurs en Europe.

Alors, l’Angleterre du Brexit est-elle celle des années Thatcher ? Économie morose et rejet de la faute sur les étrangers, le raccourci est séduisant. Ce qui est certain, c’est qu’on n’avait pas vu un tel déferlement de groupes contestataires et d’ensauvagement musical depuis la fanaison des crêtes punks. Les années 80, 90 et 2000 ont respectivement retenti au son des synthétiseurs, des invectives entre Blur et Oasis et des faits divers de Pete Doherty ; pas de quoi émoustiller ceux qui rêvent d’un Grand Soir branché sur amplis Marshall. L’engagement politique d’une contre-culture est-il proportionnel à l’état de mouise dans lequel se trouve son pays ? Force est en tout cas de constater que depuis 2016 et les résultats du référendum, il est à nouveau légitime de parler de « nouvelle scène » au Royaume-Uni et en Irlande. Shame, IDLES ou Fontaines D.C. (pour ne citer qu’eux) émergent médiatiquement à la même période et incarnent un rock plus sombre et engagé que leurs hédonistes prédécesseurs des années 2000. Pour point commun, des références évidentes à la scène post-punk originelle et à des groupes comme Wire, Gang of Four, The Fall … des guitares tranchantes comme celles de leurs modèles et des textes plus scandés que réellement chantés. Des textes qui justement décrivent le quotidien d’une Angleterre post-Brexit où l’incrédulité de la jeunesse fait souvent place à la révolte.

Idles – Great

« Blighty wants his country back / Fifty-inch screen un his cul-de-sac / Wombic charm of the Union Jack / As he cries at the price of a bacon bap »

Goat Girl – Scum

« I honestly do think that someone spiked their drinks / How can an entire country be so fucking thick ? / Hold tight to your pale ales / Bite off your nationalist nails / We’re coming for you, please do fear / You scum aren’t welcome here »

Shame – Visa Vulture

« Let them cross the border / Create a disorder / That’s all I want / That’s all I want to do / (Oo-oo-ooo-ooooo) Theresa May, won’t you let me stay ? / Just one more day »

Sleaford Mods – Dull

« Brexit loves that fucking Ringo / Safe bet, all the oldies vote for death / Strap down, watch them and strike fast / Why not ? They wanna kill people who ain’t got a lot ? »

Depuis Ray Davis, la Grande-Bretagne a toujours regorgé de story tellers chantant le quotidien de leurs concitoyens. Mais là où Damon Albarn se contentait de conter la journée d’un gus allant nourrir les pigeons, la nouvelle génération a réussi à s’approprier les thématiques de son époque et s’en faire la porte-parole : soutien aux migrants, défense des droits LGBT, effondrement des services publics, gentrification, chômage, anti-racisme, écologie … Priment désormais les mots pour représenter l’urgence politique dans laquelle se trouve le pays. Comment expliquer autrement le succès de Sleaford Mods ? Comment un duo aussi minimaliste musicalement pourrait-il autant séduire les masses si ce n’est par ses textes acerbes éructés par un prolo en quête de justice sociale ?

Si le punk fut aussi bref qu’intense, cette nouvelle scène semble, elle, s’inscrire dans la durée. Chaque année débarque une nouvelle sensation, prête à remettre une pièce dans la machine et relancer les hostilités. Les albums de Squid, Yard Act ou encore LIFE ont récemment squatté les rédactions de la presse spécialisée tout en s’en attirant les louanges. Pour cette Post-Brexit New Wave l’abondance est là, le talent aussi. S’il est encore trop tôt pour en mesurer le réel impact culturel, contentons-nous pour l’instant d’admirer cette émergence massive de voix prêtes à écrire la bande-son d’une jeunesse conscientisée, avide d’imposer ses idées. Dans un pays en plein chamboulement et en perte de repères, où même l’ex-leader des Sex Pistols a manifesté son souhait de participer à l’Eurovision, il est assurément temps d’écrire une nouvelle page.

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