Mettre fin au capitalisme : check. Entériner le projet de réforme des retraites : check. Éradiquer le sexisme : check. Il est quand même assez bluffant de constater à quel point les Interrockations ont permis d’améliorer la société en seulement quelques chroniques bien senties. Un simple blog et voilà relégués au rang de préoccupations du passé tant de sujets qui nous empoisonnaient la vie jusque là. Certes, tout était annoncé dès notre Avant-propos : « répondre aux grands enjeux sociétaux contemporains à l’aide de théories rock fumeuses ». Chose promise, chose due. De rien, c’est tout naturel. À quoi s’attaquer désormais ? Voyons-voir. Début avril. Printemps. Nature. Écologie. Allez, c’est décidé , aujourd’hui on s’en va sauver la planète. Dans cette grande cause mondiale qu’est la lutte écologique, quelle place prennent les rockers ? Lorsque l’on songe à cette lutte, on imagine plus aisément un rasta blanc en monocycle qu’un barbu sur son Harley Davidson. Les ZAD résonnent certainement plus au son des djembés que des guitares électriques. Mais peut-on raisonnablement se mettre l’opinion publique dans la poche en arborant des t-shirts Tryo ? Et si l’écoterrorisme si cher à Darmanin ne faisait pas référence aux méthodes de ces militants mais plutôt à leur playlist ? Pour qu’écologie rime aussi avec playlists de qualité, partons à la recherche des rockers verts.
Première piste : la génération flower power. Inutile de rappeler que derrière cette dénomination printanière, les hippies ont fait du rapprochement avec la nature un combat majeur (à égalité avec la légalisation du cannabis et le développement des campings naturistes). Qu’ils soient membres à part entière de cette scène ou simple contemporains, de nombreux artistes des sixties ont dédié des chansons à ce sujet. Entre admiration béate de Gaïa, notre mère à tous (Mother Nature’s Son des Beatles, Green River de Creedence Clearwater Revival) et dénonciations militantes des dérives écocides (Don’t go in the water des Beach Boys, Pollution de Bo Didley, Mercy Mercy Me Ecology de Marvin Gaye).
Si les scènes suivantes (punk, grunge, heavy metal…) n’en font pas forcément un cheval de bataille, elles émaillent pourtant leurs chansons de propos écologiques notamment pour dépeindre un futur post-apocalyptique. Non, les plutôt conservateurs Metallica ne vous convieront pas à un apéro végan mais ils sauront vous conter comment la cupidité des hommes a provoqué l’extermination du genre humain (Blackened). Chacun sa méthode. Il faut dire que les conséquences dystopiques de notre aveuglement collectif dépeignent un tableau idéal pour l’imaginaire des musiques les plus sombres (au choix : London Calling du Clash, Hands All Over de Soundgarden ou Do The Evolution de Pearl Jam) . Est-ce un hasard si, parmi la pléthore de styles abordés, les australiens de King Gizzard ont choisi leur album de speed metal pour parler le plus frontalement d’écologie (There’s No Planet B) ? Le propos a-t-il plus d’écho s’il est éructé au milieu du fracas des guitares ?
Alors qui sont les plus éminents rockers verts, ces entités synthétisant l’esprit de Greta Thunberg dans le corps d’Iggy Pop (et non l’inverse qui serait quelque peu dérangeant) ?
– Midnight Oil, le combo australien, truste forcément les premières places dans ce domaine. Dans les années 80, leur rock mâtiné de paroles en faveur des droits des aborigènes et de respect de la terre en fait un fer de lance du combat écolo, aidé par leur mythique tube Beds are Burning qui portera leur message aux quatre coins du monde. Peter Garrett, chanteur du groupe sus-nommé, deviendra même ministre de l’environnement dans les années 2000. Autrement plus rock’n’roll que Nicolas Hulot !
– Autre chanteur impliqué en politique, l’ami Jello Biafra. L’inénarrable leader des Dead Kennedys affiche ses velléités politiques dès 1979 lorsqu’il décide de se présenter pour l’élection de maire de San Francisco. Considérée par ses opposants conservateurs comme un canular, sa candidature porte toutefois de réelles idées écologiques comme l’arrêt de la circulation des voitures dans le centre de Frisco et d’autres idées à faire frémir Darmanin (réquisition des logements vacants, dépénalisation du squat, financement des policiers de proximité …). S’il échoue à cette investiture, il deviendra néanmoins un membre éminent du Green Party US, équivalent amerloque de notre parti écolo.
– Et si le groupe le plus militant dans le domaine actuellement était à chercher sous nos latitudes ? Gojira, fleuron de la scène métal française, est également à l’avant-garde du combat écologique. Profitant de sa renommée internationale, le quatuor landais prêche la sainte parole verte depuis ses débuts. Des convictions personnelles qui se traduisent à la fois dans les textes de leurs chansons (Amazonia sur la déforestation, Born For One Thing et l’extinction des espèces causée par l’homme) mais aussi en actes concrets (EP enregistré au profit de Sea Sheperd, association pour la protection des espèces marines ou encore profits reversés à APIB qui vient en aide aux tribus autochtones d’Amazonie).
La préservation de l’environnement est désormais sur toutes les lèvres et chacun (enfin presque) y va de son petit geste salvateur. Cette prise de conscience collective trouve-t-elle écho parmi les artistes contemporains? Aborder la thématique dans ses textes est une chose, remettre en question l’impact écologique de son activité en est une autre. Entre tournées de plus en plus gigantesques et festivals omniprésents, l’industrie musicale ne dispose pas d’un bilan carbone des plus légers. Peut-on être crédible dans ses convictions écologiques lorsque l’on passe le clair de son temps sur les routes ? Les Beatles en stoppant tout concert dès 66 sont probablement le groupe culte au plus petit bilan carbone. Alors que faire ? Ne jouer qu’en acoustique et se déplacer en tournée à dos d’âne ? Faire comme ses acteurs affichant leurs convictions vertes mais posant pour l’industrie écocide de la mode ? Faut-il partir en tournée vaille que vaille, inexorable prix à payer pour y diffuser ses textes teintés d’empreinte écologique ?
La question taraude les acteurs de l’industrie et des initiatives se lancent progressivement un peu partout dans le monde. Au Royaume-Uni, le mouvement Music Declares Emergency, composé de musiciens, professionnels et structures, interpelle dès 2019 le gouvernement britannique sur l’urgence d’agir et promouvoir le rôle de sensibilisation que peut jouer l’industrie musicale. Parmi les artistes à arborer le slogan « No Music on a Dead Planet », on trouve Thom Yorke, Massive Attack, Brian Eno ou bien encore Billie Eilish. En France, ce sont Shaka Ponk, Soprano ou Zazie (des noms moins clinquants, c’est sûr) qui lancent une initiative similaire avec le site internet http://www.the-freaks.fr, permettant à chacun d’évaluer son éco-aptitude. Le point commun de ces initiatives ? Faire réfléchir les consommateurs de musique à leur impact écologique, du plus petit détail (la suppression des stickers superflus sur les emballages de disques) aux comportements plus influents (comment se rendre en festival ? comment y adopter une éco-attitude raisonnée?). Un des principaux sujets de réflexion est bien évidemment le transport, des musiciens, de leur équipe technique et de leur matériel comme celui des festivaliers et autres spectateurs de concerts. Trouver des solutions à cette problématique précise permettrait certainement de rendre l’industrie musicale plus responsable. A ce sujet, nous voudrions encourager Coldplay à poursuivre ses efforts pour réduire leur empreinte carbone. Réduire le nombre de concerts, c’est bien. Réduire sa carrière, c’est mieux.
Alors, en conclusion, le rock est-il mauvais pour la planète ? Laissons la science trancher. Des chercheurs américains ont voulu vérifier l’assertion d’AC/DC selon laquelle Rock’n’Roll Ain’t Noise Pollution comme les australiens aimaient à le chanter sur Back in Black. Un écosystème comprenant des coccinelles, des pucerons et du soja a été crée afin de le soumettre à l’écoute prolongée et à fort volume de différents styles de musique. Résultat ? À l’écoute de titres rock, l’appétit des coccinelles se voit drastiquement réduit, provoquant la pullulation des pucerons qui, n’étant plus régulés, mettent alors à sac le soja à disposition. C’est donc tout un écosystème dont l’équilibre se voit brisé par l’écoute de hard rock. Un effet dévastateur que n’a pas provoqué l’écoute d’autres styles de musique.
Les coccinelles sont affirmatives. Pour sauver la planète, renoncez au rock’n’roll. Sortez les bolas et les djembés.

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