Les temps sont durs pour les technophobes. Ces angoissés du grand remplacement robotique ont en effet dû avoir quelques sueurs froides ces dernières semaines avec la présence insistante dans le débat public de termes comme « intelligence artificielle » et autres « ChatGPT ». Des termes qui ont même réussi à s’immiscer jusque dans l’industrie musicale qui, à son tour, cède aux assauts de ces droïdes à vocodeur. Premier avertissement : une collaboration inédite entre les deux mastodontes Drake et The Weeknd qui a affolé les réseaux sociaux avant de révéler son vrai visage : ce duo à faire rêver dans les chaumières (pas la nôtre, certes) n’est que le fruit d’un logiciel d’intelligence artificielle. Second coup de canon : des musiciens fans d’Oasis, las d’attendre une reformation du groupe, décident de prendre les choses en main et de coupler leurs compositions très gallagheriennes à la voix recréée artificiellement du camarade Liam. Le principal intéressé semble avoir apprécié la démarche (sa réponse lapidaire : « Mad as fuck I sound mega ») mais son cerveau embrumé par ces poisons que sont la bière et Manchester City a-t-il seulement conscience de la question sous-jacente à ces compositions digitales ? Pas celle des droits d’auteurs, non. Une question bien plus terrifiante : le monde de demain aura-t-il encore besoin des rock stars ?
Et la question devrait le tarauder lui en premier lieu. Lui, une des dernières rock stars à l’ancienne. Celles à n’avoir pas connu la fin de l’abondance, à avoir incarné et usé jusqu’à la corde le mantra sex, drugs and rock’n’roll. Car après la fin des nineties et l’Oasis Mania, le terme rock star a paradoxalement quitté le champ lexical du rock pour s’appliquer désormais à des artistes venus d’autres genres musicaux, rappeurs et DJs en tête. Le terme d’ailleurs, depuis longtemps, ne faisait plus tant référence à des qualités musicales qu’à un train de vie fastueux, des frasques devenues mythiques, une célébrité quasi mondiale, des potins pour alimenter les tabloïds … Être une rock star c’est répondre à un cahier des charges exigeant et ce que Bowie et Jagger ont incarné pendant plusieurs décennies est désormais du ressort des Jay-Z et autres Kanye West. Blâmer ces derniers pour les valeurs bling-bling véhiculées par leurs chansons et leur statut de parvenus se comportant de manière irresponsable, c’est avoir la mémoire un peu courte. Peut-on réellement leur intenter des procès en déconnexion décérébrée quand une admiration aveugle pour les rock stars pour les mêmes raisons fut la loi unique pendant quasi un demi-siècle ?
Qu’on le veuille ou non, les rock stars d’aujourd’hui n’ont plus besoin de guitares pour dominer le monde. Alors dans le circuit rock actuel, qui pourrait encore prétendre à ce rang ? Josh Homme ? Dave Grohl ? Jack White ? Malgré leur statut de musiciens respectés et de « patrons » de la scène, aucun n’incarne ce qu’ont incarné avant eux des Jimmy Page et consorts. Malgré leur popularité dans le milieu et une abondance de projets qualitatifs, il leur manque ce je-ne-sais-quoi pour accéder au trône de leurs aînés. Simple manque d’attitude sulfureuse ? Pas sûr. Pete Doherty, les Fat White Family ou les Black Lips ont donné de leur personne pour incarner une certaine idée du rock’n’roll mais ne semblent pas disposer pour autant de cette aura propre à déchaîner les passions populaires à chacun de leur passage. Non, le rock ne s’est pas arrêté après la fin des années 90 mais l’ère du rocker tout puissant, si. Et cela n’est pas plus mal pour tout dire. Car la rock star est un modèle anachronique, un modèle épuisé qui n’a plus sa place dans le Monde de Demain, une espèce en voie d’extinction au même titre que le dodo, les dodoors ou system of a dodown.
Le monde n’attendra donc pas le soulèvement des machines pour voir disparaître la rock star à l’ancienne. Le processus est déjà en cours et ce n’est pas si grave car la rock star est coupable. De quoi ? De ne plus être en phase avec son temps. Les tournées en jets privés ? À proscrire à l’ère du bilan carbone à surveiller. Les rapports sexuels avec des légions de groupies ? Impensable après #MeToo. Les dépenses inconsidérées en manoirs et voitures de luxe ? Indécent à l’heure des restrictions budgétaires pour les masses. En tous points, la rock star a été prise en flagrant délit : de s’être vautrée dans un capitalisme crasse, s’être rendu accro à la luxure, avoir renié (pour la plupart) ses origines prolétaires et être devenue une transfuge de classe sans aucune vergogne. Pendant des décennies, telle fut la règle et le way of life de tout musicien réussissant à percer. En se défaisant de ces oripeaux consuméristes et en confiant les clés de la casbah aux rappeurs et aux DJs, le rocker se décharge d’un poids et, dorénavant, peut (se doit) d’envisager la Rock Star Nouvelle.
Et pour cette dernière, la tâche ne sera pas aisée. Oh que non. Lumières accaparées par d’autres styles musicaux. Concurrence des machines en approche (si un tas de ferraille et quelques lignes de conduite peuvent maintenant imiter la voix de Liam Gallagher, combien de temps avant de reproduire ses plus belles frasques ?). Ère des réseaux sociaux où l’immédiateté érigée en valeur sainte ne permettra bientôt plus de graver dans le marbre les exploits de nos héros. Les challenges à relever pour la Rock Star Nouvelle sont multiples. Peaufiner son art dans l’ombre. Ne plus rejoindre le circuit pour la célébrité mais pour la seule beauté du geste ; vaine, froide et désespérée. Incarner le rock’n’roll dans sa version la plus décharnée. Transcender les foules sans rien concéder à l’esbroufe. Prier Shane MacGowan, le one and only true working class hero. Redevenir cette créature hybride, mi-schlag mi-prolo. Transmettre les colères et représenter l’espoir du peuple rock.
Seule une rock star de cet acabit saura résister au soulèvement des machines.
Enfin, qu’en est-il des rock critics ? Quelle résistance sauront offrir les blogueurs du dimanche et les pigistes à la petite semaine face à l’intelligence artificielle ? Que peuvent les plumes face au bruit des bottes métalliques ? Par acquis de conscience, nous avons demandé au fameux ChatGPT de répondre à notre interrockation du jour. En voici le résultat :
En tant qu’IA, je n’ai pas la capacité de prédire l’avenir avec certitude, mais je peux dire que l’idée d’un soulèvement des machines est un concept de science-fiction qui est peu probable de se produire dans la réalité. De plus, les rock stars sont des êtres humains talentueux et créatifs qui ont la capacité de s’adapter et d’évoluer avec les progrès technologiques, plutôt que d’être remplacées par des machines.
Bien sûr, la technologie a eu un impact sur l’industrie musicale, mais les musiciens ont continué à créer et à performer, même avec l’introduction de nouveaux outils et technologies. En fin de compte, ce sont les talents et la créativité des musiciens qui ont fait des rock stars, et ces qualités continueront d’être valorisées par les fans de musique à travers les générations, indépendamment des avancées technologiques.
Libres à vous de préférer la version du logiciel à la nôtre mais vous ne nous ôterez pas de l’idée que derrière ce style un peu plat (pas une vanne sur le rock de boomers ou une référence aux Viagra Boys!), ça flaire la bonne réponse de fayot. Sans vouloir virer paranoid android, ça sent le putsch imminent …

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