The Police est un groupe britannique fondé à Londres en 1976. Plus grand groupe de rock’n’roll de tous les temps … noooon, je plaisaaaaante. Cet article ne parlera bien évidemment pas des auteurs de Rooooooxanne. Guère envie de gratter quatre pages sur ces champions du rock FM (pour Foutrement Mollasson), même si, un jour ou l’autre, quelqu’un devra bien s’atteler à répondre de manière définitive à cette question : l’œuvre de Sting doit-elle considérée comme une violence policière ? Violences policières qui, elles, seront bel et bien au cœur de notre sujet du jour. Comme elles ont été au centre de l’actualité depuis plus d’un mois maintenant et la mort de Nahel. Nous ne referons pas ici l’historique des faits. Ils ont été débattues maintes et maintes fois dans les médias. Rarement avec l’intelligence et la décence qu’aurait mérité un tel événement, certes. Alors que dire ? Rappeler l’adage de Rimbaud « On n’est pas sérieux quand on a 17 ans » et le compléter par un « et parfois, on ne vous laisse pas le temps de le devenir » ? Constater que 100 jours d’apaisement n’ont jamais autant ressemblé à un moshpit géant sur fond de hardcore ? Déplorer la générosité des français plus prompts à financer les cagnottes d’assassins que de causes sociales ? Digérer les propos ubuesques des pontes de la police nationale qui estiment qu’un policier même fautif n’a pas sa place en détention provisoire ? Se demander si Hedi, le jeune homme s’étant récemment fait ôter un morceau de crâne suite à une interpellation policière quelque peu musclée, et Darmanin réussiront un jour à partager la même définition de « maintien de l’ordre » ? Tout ça, nous aurions pu le dire mais notre neutralité journalistique nous impose de nous cantonner à notre profession de foi : tisser des liens entre culture rock et sujets de société. Interroger la relation des rockers à l’institution policière, voilà qui est plus pertinent. Cela maintenant posé, quel angle adopter ?
Se lancer dans une étude de texte de I Shot The Sheriff ou I Fought The Law ?
Lister les rock stars ayant séjourné quelques temps derrière les barreaux pour des motifs divers? Des canoniques passages en zonzon de Keith Richards, Paul McCartney, David Bowie pour possession de stupéfiants jusqu’aux arrestations pour meurtres de Phil Spector, Bertrand Cantat et Sid Vicious. L’attentat à la pudeur de Jim Morrison et son fameux « do you want to see my cock ? » balancé live devant 10 000 personnes (rappelons que les dick picks n’existant pas à l’époque, cela restait encore le moyen le plus rapide d’arriver à ses fins exhibitionnistes). L’emprisonnement (et bannissement de la ville pendant dix ans) à San Antonio d’Ozzy Osbourne pour avoir uriné sur une statue commémorative des victimes de la bataille d’Alamo.
Tenter de déduire l’opinion de la scène punk sur la police d’après des titres de chansons ? Police On My Back de The Clash, Police Oppression de Angelic Upstarts, Fascist Pig de Suicidal Tendencies, Millions of Dead Cops de MDC, State Violence / State Control de Discharge, Fuck Police Brutality de Anti-Flag, Bastards In Blue de The Partisans, Cop Killer de Body Count, I Hate Cops de The Authorities, Abolish Police de Final Conflict, Fascist Cops de The Kids, Police State de UK Subs, Cracked Cop Skulls de The Shitlickers, … une liste presque aussi longue que celle des morts à la suite d’interventions policières (52 rien qu’en 2021 selon une enquête du site Basta!).
Évoquer la petite polémique suscitée par le groupe IDLES suite à son passage au Pointu Festival dans le Var il y a quelques jours ? Antifascistes notoires, le groupe a laissé échapper un subtil ACAB entre deux chansons déclenchant immédiatement un tonitruant « Tout Le Monde Déteste La Police » repris en chœur par une grande partie de la foule. Les musiciens anglais se sont alors brièvement fendus d’un petit riff et d’une petite danse pour accompagner cette ritournelle populaire, provoquant l’ire des élus d’extrême-droite locaux, toujours plus portés sur le soutien aveugle à l’ordre et la sécurité que sur l’analyse sociétale.
Admettre que la critique de l’institution policière est désormais l’apanage de la culture hip-hop ? Des chefs de file que sont N.W.A et Public Enemy à la vague d’artistes afro-américains engagés aujourd’hui pour la cause Black Lives Matter aux États-Unis. Les vidéo-clips en forme d’uppercut de This Is America de Childish Gambino ou de Close Your Eyes (And Count To F**k) de Run The Jewels résonnent certainement plus fort que n’importe quel discours féerique de Bono ou autres Miss Univers pour dénoncer un racisme systémique qui ne se cache plus … et a, depuis bien longtemps, traversé l’Atlantique, comme en témoigne sous nos latitudes à peu près n’importe quel texte de La Rumeur ou de Casey.
…
Aucun de ces angles n’a été retenu. En lieu et place, nous souhaitons aujourd’hui vous partager un document sonore sur lequel nous sommes tombés durant nos recherches. Un témoignage d’une partie méconnue de l’histoire du rock français qui, on devine aisément pourquoi, n’a jamais eu l’honneur des projecteurs médiatiques. Une série documentaire en six épisodes parue pour la première fois en 2017, mêlant entretiens avec les protagonistes de l’époque, lectures de tracts et de journaux, extraits d’émissions de radios libres ou de journaux télévisés, bribes de concerts et retraçant l’historique de l’initiative injustement oubliée :
Rock Against Police
Nous sommes en février 1980. Abdelkader Lareiche, résident d’une cité de Vitry âgé d’une quinzaine d’années, est abattu d’une balle dans la tête par un gardien d’immeuble. Un crime raciste injustifié comme il y en aura beaucoup en ce début d’années 80, entre bavures policières et actes isolés de concierges mi-beaufs réacs / mi-cowboys à la gâchette facile. Le tort des victimes ? Être jeunes, prolétaires ou (enfants d’) immigrés, parfois les trois à la fois pour les plus inconscientes d’entre elles. Face à cette vague de xénophobie décomplexée et une politique de répression sécuritaire, la résistance s’organise. En banlieue parisienne, se lance alors une série de concerts sous l’étiquette « Rock Against Police », allusion évidente au « Rock Against Racism » britannique (déjà chroniqué par nos soins ici) et une même volonté de faire bouger les lignes à travers la musique. « Si on devait se libérer, c’était par nous-mêmes et à partir de notre culture ». Pour ces jeunes, c’est l’occasion de se réapproprier leur territoire social, de « renégocier une place dans la cité » à travers une« musique sociale issue du quotidien ». Exprimer une parole authentique, la leur, loin des stéréotypes véhiculés par les médias de masse et « l’antiracisme larmoyant ». Comme le résume un des protagonistes : « On ne sera pas une sorte de version sous-titrée par les journaux, mais une version originale de nos propres vies. ». À Vitry, Nanterre, Cergy, Argenteuil mais aussi à Marseille et à Lyon, s’allient alors zonards, prolos, fils d’immigrés, punks, militants maoïstes, musiciens, lycéens, autonomes, loin de tout cadre politique pour créer ce qui reste encore aujourd’hui un des actes les plus revendicatifs du rock franchouillard. Musique il y a certes mais elle n’est qu’un prétexte à la tenue de débats, de mobilisations contre les expulsions de jeunes immigrés, de réappropriation de l’information et de la parole médiatique, de réflexions sur le droit au logement ou sur l’égalité des chances. Les discours révolutionnaires ne s’éteignent pas en même temps que les amplis : « On est contre le discours du genre « ma guitare est un fusil ». Non, non. Une guitare, c’est une guitare et un fusil, c’est un fusil. Il faut savoir se servir des deux en fonction des besoins du moment ». L’époque est aux changements et le bouillonnement politico-culturel qui s’annonce n’épargne pas la banlieue. Arriveront ensuite la gauche au pouvoir, la Marche des Beurs, SOS Racisme et l’inexorable récupération politique d’une initiative qui se voulait locale, indépendante, furieuse, authentique … autrement dit peu adaptée aux livres d’histoire.
C’est ce morceau d’histoire oublié que raconte Rock Against Police, Des lascars s’organisent. Six épisodes d’environ quarante minutes chacun qui constitueront notre playlist du jour ci-dessous : denses, documentés (si vraiment vous n’aviez pas le temps de tout écouter, nous vous conseillerions de vous concentrer sur les épisodes 3 et 4) et pour ne rien gâter, accompagnés d’une bande-son aux petits oignons où se croisent Rachid Taha, The Clash, James Brown, La Souris Déglinguée, Trust, The Ruts, Les Forbans et bien d’autres. Un voyage passionnant dans une époque où le rock servait encore de bande-son aux luttes révolutionnaires et qui démontre que la Grande Histoire du rock français a plus à offrir que les niaiseries de fils à papa comme Téléphone ou les BB Brunes. Un récit des années 80 qui malheureusement fait encore trop écho à notre époque, où trop des constats fatalistes entendus dans ce documentaire auraient pu être prononcés par des proches de Nahel ces dernières semaines. Plus de quarante ans après, la situation dans les banlieues a-t-elle vraiment évolué ? Quel a été l’impact réel de ces concerts ? Simple coup d’épée dans l’eau ou vibrant rappel de l’importance des initiatives citoyennes et collectives ? Une conclusion toutefois semble se dessiner : la lutte est de tous les instants … et résonne toujours plus fort au son des guitares.

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