« L’oisiveté est l’amer de tout Elvis » Jamais bien pigé ce proverbe et le rapport entre le Picon et le King. Deux substances royales mais après … D’toute façon, mon avis c’est que les gens pannent pas grand-chose à l’oisiveté de manière générale. À peine qu’on évoque de bosser moins, que derrière t’as toute une armée de gonzes en costard cravat’ qui vient crier à la perte des valeurs, au déclin de l’occident et à l’invasion imminente de satano-fémino-végano-islamo-zombies. C’est le père Lafargue (le beau-fils à Karl Marx) qu’en a parlé parmi les premiers dans son bouquin Le Droit à la Paresse. Sûr que sur un ouvrage pareil, verrez jamais apposé un sticker « Livre Coup de Coeur du MEDEF ». Le gendre à Karlito y dézingue la valeur travail comme rarement auparavant. Et ça a inspiré par la suite pas mal d’autres branleurs célestes, plus portés sur la farniente que sur la sueur au front. Refus idéologique ou simple envie de se la couler douce, y a du sous-bassement théorique pour tout le monde !
N’empêche que la question a le mérite d’êt’ posée : a-t-on tant besoin de s’affoler la couenne ? Moi, j’sais d’quoi j’parle, je publie un texte une fois toutes les deux semaines. Le burn out est pas près de poser ses valoches par chez moi. Et vous m’ôterez pas de l’idée qu’en inventant le terme « bidimanchuel », j’aurai ajouté ma pierre à l’édifice de la Glande Internationale. Pas comme tous ces blogs qui pondent dix articles à la journée ! Laissez-nous l’temps de digérer, vindiou. Y en a qui ont l’estomac fragile ! Alors qu’une bonne interrockation, ça t’reste en bouche, ça te titille les papilles pendant deux semaines. De la caudalie littéraire de première bourre !
Et niveau musique, ça s’excite sec aussi. Le chiffre est tombé et il fout le tournis : 100 000 nouveaux titres chaque jour qui pointent le bout de leurs accords sur les plateformes de streaming ! Comment voulez-vous suivre ? Devant ce flow de nouveauté permanente, doit-on tout enquiller sans sourciller ou baisser les bras d’avance ? Rééditions ou reddition ? Telle est la question. Mais bon, l’air du temps est pas vraiment aux flâneurs, faut le reconnaître. Pour preuve, qui c’est qui cartonne dans nos contrées rock ces temps-ci ? Osees ? Ty Segall ? King Gizzard ? Des acharnés de la tâche, des bigots du boulot. Rien contre vous les gars hein, le prenez pas mal ! Mais là j’ai un peu l’impression que mon ventre à bières et moi, on court essoufflés derrière un train qui nous a éjecté et qui roule trop vite pour nous maintenant. Comme ensevelis sous la pelletée d’albums que vous nous balancez chaque année. Comment voulez-vous que la jeunesse apprenne à se tourner les pouces avec des modèles pareils ? Bon, de loin, ça semble quand même globalement qualitatif cette histoire. Mais on peut pas en dire de même de tout le monde.
J’vais pas redéblatérer aujourd’hui sur ces groupes qui savent pas s’arrêter à temps, j’ai déjà tartiné copieusement sur le sujet. On m’ôtera quand même pas de l’idée que des carrières auraient été bien plus belles si avortées à temps et que deux, trois mythes se seraient pas retrouvés tout écornés par manque de lucidité. Ça aurait même évité à certains groupes de d’venir une version cheap de leur propre tribute band. Tiens, en parlant des Guns justement. Chinese democracy ou le summum de la procrastination. Album sans cesse annoncé, sans cesse repoussé. À tel point que le blaze de l’album devient quasi une expression dans le jargon rock, une nouvelle arlésienne. Ça aurait pu suffire. Et non l’Axl Rose, il a quand même voulu le sortir (avec dix sept ans de retard tout de même, chapeau bas!) . Résultat ? Une bien belle bouse ! Et un album dont tout le monde se contrefout maintenant ! Enchaînons. Parlerait-on moins aujourd’hui du Velvet, des Doors, des Guns ou de Rage Against s’ils n’avaient sorti que leur premier album ? M’est avis est qu’y avait déjà assez de mojo dans ces premiers jets pour qu’on en parle encore aujourd’hui la larmichette à l’oeil. Regardez les Sex Pistols. ‘Sont pas emmerdés à sortir un deuxième album et ça les a pas empêchés d’pondre l’album punk ultime qui disent les rock critics officiels (moi je pense que c’est Tutti Frutti des Wampas mais c’est que mon humble avis). Un seul album et ciao les nazes ! Si ça c’est pas décroissant ! Alors qu’jsuis sûr qu’il triait même pas ses déchets le Johnny Rotten !
Heureusement y a des contre-exemples de nos jours aussi. Une nouvelle génération de forçats du farniente, de princes de la flemme, de chambellans de la branlitude. Dans ce siècle-ci, on a vu des p’tits gars piger le principe, sortir des albums de top qualité et s’arrêter direct dans la foulée. Z’irez j’ter une oreille à Wu Lyf, Amazing Snakehead ou Exploding Hearts. Un album et pis s’en va. Bon pour les derniers, la retraite a été plus anticipée que prévue parce que l’intégralité du groupe s’est fracassé en bagnole à la sortie d’un concert. Un peu radical pour préserver son œuvre mais l’intégrité est sauve. Et paraîtrait que Palmade avait un alibi ce soir là …
Alors vous me direz « ouiiii mais si on a pas réussi à sortir notre chef-d’œuvre du premier coup, que faire ? ». Je serai magnanime, je veux bien vous offrir un second essai ; Nevermind s’est pas fait en un jour. J’pourrais même aller jusqu’à vous laisser une troisième tentative. Même si mon cœur chavirera toujours pour les premières œuvres (les seules à posséder l’urgence du truc à dire, l’énergie brute du besoin à exprimer), j’peux concéder qu’il y a quelques albums numéros 2 et 3 dans l’histoire qui sont pas dégueus. Mais si au bout de ces essais, le master piece se fait toujours attendre ? Alors là, pliez les gaules les gars. Le rock c’est comme le Yams, ça se joue en trois coups max’. Et à ceux qui me rétorqueront « quid de Led Zep IV, Let it Bleed, Wish You Were Here, Abbey Road, Heroes, Blonde on Blonde ? », et bien je répondrai ….
…
Tout ça pour dire qu’avec moins de nouveautés, nous autres auditeurs et auditrices, on aura p’têtre le temps de s’adonner à un peu plus de slow listening. «Kess’ c’est qu’ça encore ? » z’allez me dire, vous autres qui parlez pas la langue de Pete Doherty. C’est ce qu’à l’époque on appelait « se poser les miches dans un rocking chair, un verre de ‘sky à la main, histoire de savourer un bon vieux blues des familles » et que la nouvelle brigade de la bienveillance essaie de nous refourguer derrière du jargon briton avec des explications type : « non mais tu voiiis, ce qui est important c’est de prendre du temps pour soiii, s’écouteeer, prendre le temps de s’asseoir dans un fauteuil molletonnééé et écouter un album d’une traite sans shuffle ni playliiist, histoire de bien savourer l’instaaant, tu voiiis, une détox musicale en gros quoiii ». Pas mal de palabres pour dire que ce qu’on veut, nous, c’est juste prendre le temps d’écouter pépouze un album chéri encore et encore, l’user jusqu’à la moelle et pouvoir l’savourer jusqu’à la déraison, sans qu’y en ait trois nouveaux qui soient sortis une fois le casque retiré des esgourdes. À l’ère de la notification permanente et de l’algorithme en furie, ça nous semb’ ben complexe ct’ histoire mais c’est justement là qui faut entrer en résistance. Prenons le temps de réécouter les choses et favorisons ces rares artisans qui nous gratifient de petites gemmes une fois toutes les 36 lunes. Le futur sera minimaliste ou ne sera pas. L’apologie du Moins, voilà ce qu’on veut. Solliciter ce que Tonton Nietzsche appelait « la faculté de ruminer ». Oui, ça conclut avec de la philo teutonne, on a pas tous Pif Gadget et Playboy comme réf’ littéraires.
Alors mes Iggy les Bienheureux, on se la joue Rimbaud ? Comme le poète, on dit ce qu’on a dire et pis on arrête tout ? Bon, pt’êt’ pas pour aller vendre des armes en Afrique dans la foulée, consultez votre conseiller d’orientation avant d’vous jeter tête bêche dans l’gourbi. Mais z’avez compris l’idée. IRL ou dans nos playlists, on prend le temps ! Tout a déjà été dit. Arrêtons-nous au bon moment. Et ça vaut pour les Interrockations, hein! Quand on aura fini de vider notre sac, promis, on sera les premiers à plier les gaules. Ça nous laissera l’temps de relire Lafargue.
L’oisiveté d’accord mais n’ayez pas la flemme de liker notre page FB et/ou de partager nos articles.

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