XXVI – Le rock, c’était mieux ailleurs ?

« Et gnagnagna le rock est mort », « et gnagnagna le rock c’était mieux avant ». Mais qu’est-ce qu’ils radotent (chili peppers) ceux-ci, dites donc ! Écouter des vinyles est une chose, le disque rayé en est une autre. C’était mieux avant ? Mais où ça d’abord? Par chez nous ? Quel chauvinisme ! Chez les anglo-saxons ? Quelle originalité ! Quitte à avancer de telles fariboles, ayez au moins la décence d’être un minimum esthètes. Par exemple, complétez votre fétichiste « c’était mieux avant …» avec un romantique « …notamment au sein de la scène new wave yougoslave », et vous voilà passé de vulgaire ronchon passéiste à rockologue érudit. Et voilà, encore une astuce des Interrockations pour briller en soirées mondaines !

Le rock yougoslave donc. Pourquoi un tel sujet aujourd’hui ? Primo, parce que nous vous l’avions promis lors de notre fantasmagorique chronique sur l’Eurovision (à [re]découvrir ici). Secundo, car nous évoquons là à un des secrets les mieux gardés de l’histoire du rock international. Pendant plusieurs décennies, dans l’ombre la plus totale, sévissait la deuxième plus grosse industrie mondiale en terme de production musicale. Une production pléthorique qui n’a jamais songé à ne pas faire rimer quantité avec qualité. En effet, c’est toute une horde de chefs-d’œuvre tapant à tous les râteliers (prog, hard rock, new wave, punk, ska revival …) qui émailleront l’histoire culturelle et politique de ce pays aujourd’hui disparu. Mais avant de parler musique, un peu de contexte historique est nécessaire.

La Yougoslavie à laquelle nous ferons référence ici est la seconde Yougoslavie, celle de la République fédérative socialiste qui s’étira de 1945 à 1992, constituée des actuelles Croatie, Serbie, Monténégro, Macédoine du Nord, Slovénie et Bosnie-Herzégovine. Menée dès sa création par le Maréchal Tito (qui en tiendra les rênes jusqu’à sa mort en 1980), elle est un régime communiste qui présente plusieurs particularités, notamment celle d’avoir rompu avec Staline dès 1948 et donc son affiliation idéologique avec le bloc de l’est. Située à l’ouest du Rideau de Fer, elle n’en est pas pour autant alliée du bloc occidental et sera même fondatrice du Mouvement des non-alignés aux côtés de l’Inde, de l’Indonésie et de l’Égypte. Un positionnement politique qui choisit de ne pas choisir, qui refuse deux mondes tout en appliquant certaines valeurs et qui impactera férocement la création artistique dans le pays. En effet, tout en tentant de faire vivre en interne l’utopie socialiste, le régime ouvre largement ses frontières, au tourisme, à l’émigration, se distinguant ainsi rapidement des autres régimes communistes renfermés sur eux-mêmes. De grands noms internationaux du rock (les Stones, Deep Purple) viendront jouer dans ces contrées bien avant de pouvoir le faire à Moscou. Cette ouverture va permettre aux musiciens locaux de voyager, de rencontrer des musiciens ouest-européens, de ramener de leurs voyages des synthés dernier cri (il n’est alors pas rare que l’on tente à plusieurs de décrypter les manuels écrits en anglais avant de se partager l’instrument et de se le passer de groupe en groupe) et évidemment les valises pleines des dernières sorties anglo-saxonnes pour s’en inspirer et les recracher à la sauce locale. À l’inverse de l’URSS qui censure allégrement sa jeunesse rock (voir à ce sujet l’époustouflant film Leto), le régime de Tito instille lui un climat relativement favorable aux milieux culturels. Si critiquer le système et le leader suprême sont bien évidemment hors de question, si la police a bien évidemment usé le bout de ses bâtons contre le crâne de quelques punks, une large permissivité est accordée aux groupes, peu réfrénés dans leurs envies de ressembler aux rock stars d’alors. Une liberté artistique somme toute relative mais assez permissive pour laisser croître un véritable vrombissement culturel.

Si quelques groupes cultes pointent le bout de leur nez dès les années soixante (les fans de prog-psyché seraient bien avisés d’aller jeter une oreille à Korni Grupa), il faudra attendre encore quelques années pour que la scène locale explose véritablement et donne naissance à toute une flopées de groupes talentueux, prêts à écrire l’histoire. L’occasion viendra avec le séisme punk qui, de Londres à New York en passant par Zagreb, Belgrade et autres Ljubljana, n’épargnera personne. 1977 ou le début d’un âge d’or d’où émergeront pléthore de groupes aujourd’hui encore unanimement considérés comme le fleuron du rock yougoslave. Regroupée sous l’étiquette Novi Val qui signifie « nouvelle vague » dans la langue de _________ (insère ici le nom de ton écrivain yougoslave favori), cette génération s’apprête à casser les codes existants, s’inspirant très vite de l’éthique post punk de leurs confrères ouest-européens pour pousser l’expérimentation sonore dans ses retranchements. Des premiers tâtonnements de Pankrti, autoproclamés « premier groupe punk derrière le rideau de fer », aux précurseures divagations indus de Laibach (ces slovènes probablement uniques représentants du rock yougoslave au-delà de leurs frontières), aucune audace musicale n’est interdite et les musiciens locaux vont alors composer frénétiquement, enchaînant les enregistrements, d’albums ou de simples singles. Nombres de ces titres sont regroupés sur des compilations aujourd’hui devenues cultes et véritables témoignages de la frénésie culturelle qui régnait alors dans le pays (parmi celles-ci, les iconiques Paket aranžman, Novi Punk Val et Artistička radna akcijaà écouter sur les plateformes spécialisées). Parmi ces sorties de légendes, dix albums que nous avons sélectionnés pour vous (en chroniques et en playlist intégrale à découvrir à la fin de cet article), semblables à ces liqueurs à la robe austère des confins des Balkans, à savourer comme un verre de rakija dans un rade de Skopje, conscients que vous y laisserez votre rétine mais assurés de toucher du doigt l’ineffable :

  • Bitanga IPrinceza par Bijelo Dugme (1979)

Formé à Sarajevo en 1974, Bijelo Dugme (Bouton Blanc) est probablement l’un des groupes les plus populaires de toute l’ex-Yougoslavie. Sur ce quatrième album, ils peaufinent une recette déjà approuvée sur leurs précédents essais : un hard-rock mâtiné d’influences prog et symphoniques qui doit autant à Deep Purple qu’à Scorpions. Du riff punchy de Bitanga I Princeza au slow épique de Sve Će To, Mila Moja, prekriti Ruzmarin, chacun des sept titres présents sur cet opus entrera dans la légende et deviendra un hit diffusé massivement, renforçant ce qu’on appellera alors la Dugmemania. En sus, un soupçon de scandale pour épicer le tout avec une première pochette censurée. En cause ? Une représentation d’une femme en train de lécher un entre-jambe masculin. La séparation du groupe en 1989 marquera le départ de ses musiciens vers de nouveaux horizons. Parmi ceux-ci, un guitariste nommé Goran Bregovic qui deviendra un des plus fameux représentants de la musique traditionnelle des Balkans et compositeur génial de bande-sons de films (notamment pour son ami Emir Kusturica).

  • Plitka Poezija par Pekinška Patka (1980)

C’est peu dire que le premier groupe keupon de Serbie avait un certain penchant pour la provocation : se faire faussement passer pour le premier groupe de punk orthodoxe dans un régime prônant l’athéisme, brûler sur scène un exemplaire de la gazette officielle du Parti, donner quelques prestations frôlant la vulgarité … il n’en fallait pas plus pour faire de ces petits gars de Novi Sad les Sex Pistols yougoslaves. Des prestations et une réputation qui leur valent de jouir d’un certain culte avant même la sortie de leur premier album. Et quel premier album ! Le morceau d’ouverture Poderimo Rock et son refrain supersonique vaut à lui seul toute l’œuvre de The Damned ! Et le reste est à l’avenant : encore plus de pépites punk (Bela Šljiva ou Kontracepcija), reprise survitaminée du Homburg de Procol Harum, incursions ska prouvant l’influence de The Specials vus en concert à Londres (Skakadak) … Quand tant de groupes british excellaient au même moment sur le format single, Pekinška Patka livre ici un classic abum à écouter d’une traite ; 16 titres expédiés en trente minutes dans la plus pure tradition punk. La sortie du disque sera repoussée en raison de la maladie du Maréchal Tito et ne sortira qu’après la mort de ce dernier à l’été 1980.

  • Sunčana Strana Ulice par Azra (1981)

S’il existait un appareil pour mesurer l’aura et l’influence qu’a eu un groupe de rock lors de sa carrière, il y a fort à parier qu’Azra en exploserait le compteur. Combo croate majeur, le trio de Zagreb réussit l’exploit de placer cinq de ses albums dans le top 100 des meilleurs albums yougoslaves (selon l’ouvrage de référence YU 100 : les plus grands albums de rock et pop yougoslaves) dont trois dans le top 10 ; ça vous pose un peu le niveau des gaillards! Sunčana Strana Ulice, second opus du groupe, terminera sixième dudit classement. Aux manettes, le charismatique Branimir « Johnny » Štulić, sorte de Dylan yougoslave, porté autant sur la poésie que sur la chanson contestataire, délivre ici probablement les sonorités les plus élégantes de cette nouvelle vague. 24 titres s’affranchissant de toutes étiquettes, voguant entre rock et chanson populaire et restant, encore à ce jour, parmi les ritournelles les plus écoutées et appréciées en Croatie.

  • Izleti par Paraf (1982)

Confessons-le d’entrée, nous parlerons ici de nos chouchous de la bande et d’un album qui, tout juste découvert, a illico rejoint notre panthéon personnel. Pour Paraf, l’histoire débute sur les bords de la mer Adriatique à Rijeka où sévit, comme ailleurs en Europe, le virus punk. Trois jeunes locaux y succombent, enregistrent un premier opus avant d’aussi sec … changer totalement de line-up et de direction musicale. Exit les crêtes et la testostérone, place aux voix féminines et aux sonorités new wave. C’est désormais la dénommée Vim Cola qui fera office de Siouxsie croate et qui mènera cet orchestre maintenant porté sur les synthétiseurs et les ambiances dark, pour un renouvellement tout simplement bluffant. N’y allons pas par quatre chemins, Izleti (excursions en français) est un must-have que vous soyez fan de The Cure (Pobuna Bubuljica), de Gang of Four (sur Ružan San ou Želim Biti Vojnik), de proto-8-Bit (sur Javna Kupatila), de textures musicales lancinantes (l’interlude Federico U Bačvi ou la culte bonus track Tužne Uši), de refrains épiques (Nestašni Đački Izleti) ou tout simplement si vous êtes en quête d’un nouveau prétendant pour orner votre collection de chefs-d’œuvre.

  • Odbrana IPoslednji Dani par Idoli (1982)

Au petit classement des meilleurs albums rock yougoslaves dont nous vous parlions ci-dessus, il fallait bien une première place. Celle-ci est décrochée par les serbes de Idoli et de leur premier album Odbrana I Poslednji Dani (La Défense et Les Derniers Jours), inspiré du roman du même nom de l’auteur monténégrin Borislav Pekić. Concept-album basé sur l’état de confusion mentale du protagoniste de cette œuvre littéraire, transposé dans la Yougoslavie de l’époque, il s’agit là d’une œuvre complexe, multiple qui ne se laisse guère apprivoiser à la première écoute et que partiellement aux auditeurs qui n’auraient pas la chance de comprendre le serbo-croate. L’album guide ceux et celles qui oseront s’y frotter dans un véritable labyrinthe d’influences (du post-punk de Moja Si à la fanfare de Senke Su Drugačije en passant par la rockab’ Jedina). Rare album yougoslave à avoir été chroniqué à sa sortie dans les colonnes du magazine britannique de référence New Musical Express, Odbrana … reste, encore à ce jour, une œuvre révérée pour sa profondeur et son inventivité.

  • Treći Svijet par Haustor (1984)

Haustor ou une des formations les plus atypiques de cette nouvelle vague yougoslave. Alors que ses camarades de promo s’inspirent majoritairement de la clique Pistols, Damned et autres Wire, le quintet de Zagreb décide, lui, de marcher dans les traces de The Specials et de participer, à sa manière, au revival ska alors en vogue. Porté par un amour sincère des musiques jamaïcaines, le groupe dégaine dès son premier album un véritable tube reggae : Moja Prva Ljubaj (Mon Premier Amour). Leur second opus Treći Svijet (Tiers Monde) poussera le curseur plus loin en mélangeant ces sonorités caribéennes aux rythmiques plus froides du post-punk. En résulte une recette qui, si moins dansante que celles des auteurs de Ghost Town, avoisine plutôt les expérimentations sonores de Public Image Limited. Le dub mélancolique de Babilonske Baklje, la section de cuivres sur Zadnji Pogled Na Jeršaleim ou la très latina Radnička Klasa Odlazi U Raj sont quelques uns des morceaux de bravoure d’un des albums les plus singuliers de cette période dorée.

  • Godina Zmajapar Psihomodo Pop (1988)

S’il fallait décrire les cultissimes Psihomodo Pop en simplement quelques mots, il serait tentant de le faire par le raccourci « les Ramones croates ». Il faut dire que le combo entretient un amour immodéré pour les quatre crétins new-yorkais, s’en rapproche fortement esthétiquement et musicalement, en fera la première partie lors d’épiques concerts à Zagreb et Ljubljana et signera même une reprise de I Wanna Be Your Boyfriend en serbo-croate (Hej, Djevojko) sur leur premier album Godina Zmaja (L’Année du Dragon). Voilà en effet un album qui regorge de pépites pop punk (Nebo, Ja Volim Samo Sebe, Frida …) prompts à ravir tous les inconditionnels de Blitzkrieg Pop. Un des singles extraits Nema Nje aura même l’honneur d’être un des premiers tubes yougoslaves à être diffusé massivement sur MTV grâce à son vidéo-clip. Un honneur parmi tant d’autres pour un groupe habitués aux récompenses dont plusieurs prix Porin, équivalent croate de nos Victoires de la Musique.

  • Partibrejkers III par Partibrejkers (1989)

Difficile de choisir un album parmi la qualitative discographie de Partibrejkers. Alors pourquoi ce Partibrejkers troisième du nom en particulier ? Certainement pour sa furieuse opening track Kreni Prema Meni, son riff et ses paroles (Ti nisi Julija / Ja nisam Romeo / Noćas sam / Nešto gadno pojeo = Tu n’es pas Juliette / Je ne suis pas Roméo / En cette nuit / J’ai bouffé quelque chose de pourri) parmi les plus mythiques du rock yougoslave. Sur ce troisième essai, dix titres impeccables, l’énergie du punk et le groove du blues en étendards, quelque part entre les Stones et les New York Dolls, pour rendre hommage à ce que l’on appelle communément du bon vieux rock’n’roll. Guère étonnant que Motorhead leur ait demandé d’assurer leurs premières parties durant leur tournée yougoslave au début des années 90. Non content d’être un des groupes les plus groovys des Balkans, les serbes ne feront qu’accroître leur légende en rejoignant dès 1991 le supergroupe Rimtutituki, collectif musical participant activement aux manifestations anti-guerres ayant alors lieu à Belgrade.

  • Two Dogs Fuckin par Let 3 (1989)

Le groupe, qui, en participant cette année à l’Eurovision, a fait germer l’idée de cette chronique. Alors que l’Europe semblait découvrir cette bande de moustachus grand-guignolesques, me revenait en mémoire ce Two Dogs Fuckin, premier album des croates, découvert lors de mes pérégrinations balkaniques il y a quelques années de cela. Un album fou, rugueux, dantesque, intense, assez éloigné de la prestation kitscho-comique délivrée lors du célèbre concours de chansons. Certes, le groupe a toujours démontré un certain attrait pour les costumes outranciers et les prestations quelque peu obscènes : nombreuses arrestations pour exhibitionnisme sur scène, fréquents visuels mêlant militarisme et masturbation et cette fameuse statue géante créée par leurs soins représentant une grand-mère à la moustache fournie et au sexe apparent d’un mètre de long exhibée à travers les villes de Croatie … Musicalement, les sonorités originelles se voulaient plutôt fracas de guitares rock alternatif et déluge de rythmiques indus ; un véritable ouragan sonore porté par les quasi létales (Ne Trebam Te, U Rupi Od Smole, Zora, We Are Lost). Un orchestre aussi foutraque que subversif, joyeusement anti-clérical et anti-conservateur, aussi prompt à défendre les causes féministes et LGBT qu’à composer ce qui deviendra l’hymne des supporters du club de foot de leur ville natale, Rijeka (Izgubljeni). À défaut d’avoir remporté l’Eurovision, ces énergumènes méritent au moins de gagner une place de choix dans votre panthéon personnel.

  • Razum I Bezumlje par Majke (1990)

Saviez-vous qu’au début des années 90 Iggy Pop était parti s’exiler en Croatie, comme il l’avait fait quelques années auparavant à Berlin, pour y enregistrer avec des musiciens locaux un de ses albums les plus sauvages à égalité avec Raw Power ? Non ? Et bien c’est normal puisque cela n’est jamais arrivé mais c’est à en douter tant émane une puissance stoogesque de ce Razum I Bezumlje. En effet, le premier album des croates est un véritable chaos métallique que n’auraient pas renié les frères Asheton : l’écoute des titres Svaku Noć i Svaki Dan, Ne Mogu Se Kontrolirati, Uzmi Sve, Novi Dan, Putujem et d’à peu près n’importe quel titre de cet opus en réalité devrait vous prouver nos dires. 45 minutes d’une violence sonique digne des MC5 ou de Steppenwolf, n’accordant aucun répit et condamnant l’auditeur à ressortir exsangue de l’écoute de celui qui sera élu album rock de l’année en 1990. L’ascension de Majke sera toutefois interrompue par un événement au fracas au moins aussi assourdissant que celui de leurs riffs …

Les déclarations d’indépendance de la Slovénie et de la Croatie en 1991 provoqueront l’éclatement de la Yougoslavie et le début d’une série de conflits meurtriers dans les Balkans. La production musicale bien qu’altérée (nombreux seront les musiciens à être mobilisés ou à partir au front) se poursuivra comme en témoignent les succès à cette période des punks de Hladno Pivo ou des sonorités redhotesques de Laufer mais la scène yougoslave, elle, en tant qu’entité, ne survivra pas. L’ère est aux sentiments patriotiques, comme en témoigne entre autres le succès de Moja Domovina, chanson caritative enregistrée par un supergroupe de musiciens croates, encore chantée aujourd’hui pour vanter la fierté nationale. Le nationalisme s’emparera alors de nombreux artistes tandis que ceux se positionnant pour l’anti-militarisme se verront parfois censurés (c’est le cas de Partibrejkers). Malgré les événements, la musique continuera néanmoins à jouer un rôle primordial dans l’histoire du pays. Lors du siège de Sarajevo qui dura quasi quatre années, les habitants, bien qu’encerclés par les forces armées serbes, mettront un point d’honneur à continuer à faire vivre la vie culturelle de leur ville, et ce en dépit des bombardements et des tirs de snipers. Les clubs et autres salles de concerts n’auront jamais résonné aussi fort qu’à cette période et la résilience des locaux doit beaucoup à la frénésie artistique qui régnait alors. Les arts et la musique comme uniques remèdes à la folie qui s’immisce. La compilation Rock Under Siege parue en 1995 est, à ce sujet, un témoignage vital de ces groupes qui résistèrent guitares à la main.

Alors que reste-t-il de la scène yougoslave à l’heure où se ravivent les tensions dans ces parties du monde ? Une scène toujours aussi foisonnante, à la fois moins unitaire mais toujours plus ouverte sur l’extérieur, consciente de l’héritage de ses aînés mais prête à en écrire le chapitre contemporain. La Croatie comme nouvelle terre du psychédélisme avec les très lysergiques Seven That Spells et Daliborovo Granje, la Serbie comme annonciatrice d’une nouvelle scène (la Nova srpska scena et ses groupes émergeant au début des années 2000, les popeux de S.A.R.S et les excellentissimes furieux Repetitor en tête), la Bosnie comme éternel royaume de croisements d’influences (on pense à l’explosif cocktail de dub, punk, rap et musiques traditionnelles de Dubioza Kolektiv) … Parmi cette nouvelle génération, il est à souhaiter qu’un groupe se démarque et rencontre à l’international un succès d’estime qui saura, par la même occasion, relancer un regain d’intérêt pour la scène new wave yougoslave. Exactement comme Altin Gün a su le faire récemment pour le rock turc des années 60 et 70 ; par une musique de son temps, réussir à braquer les projecteurs sur un phénomène musical passé et trop injustement oublié. Car, lorsque le rock yougo’ sera la nouvelle hype, alors là oui, peut-être, entendrez-vous les Interrockations chanter avec la meute : « le rock, c’était mieux avant ».

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