« Alors dans Besançon, vieille ville espagnole,
Jeté comme la graine au gré de l’air qui vole,
Naquit … »
Ainsi débute le poème « Ce siècle avait deux ans » où Victor Hugo relate sa propre naissance. Mais il pourrait aussi tout à fait convenir au début de biographie de Vent Mauvais tant le groupe franc-comtois entretient un rapport quasi mystique aux pouvoirs éoliens en tant que force insurrectionnelle. Entre deux absinthes, on est allés poser quelques questions au trio juste avant son concert en son fief bisontin.
On vous voit nous regarder, votre premier EP, est sorti en début d’année mais quand donc a débuté l’aventure Vent Mauvais ?
Cyril : En même temps que le COVID. On s’est formé, on a fait notre premier concert et juste derrière, on s’est fait confiner. Un vrai beau faux-départ.
Nico : Les majors ont senti la menace pointer et ils ont organisé ce truc énorme pour nous contrer (rires)! On avait un premier projet avec Cyril qui était bien foireux mais on a eu le mérite de s’en rendre compte. Parfois, on peut traîner très longtemps dans le foireux, voire même y faire toute une carrière (rires). Là, avec les textes de Cyril et l’apport plus rock de Vincent à la batterie, on a voulu faire les choses bien.
Vincent : On a passé un an à vivoter et on a vraiment renchaîné à la fin du confinement. On a eu le temps de peaufiner les morceaux même si on n’a pas été très bons avec les répétitions à distance. Puis, on a repris au début, on a fait un reboot. En commençant par se rappeler nos prénoms (rires).
Le chant en français, ça a toujours été une évidence ?
Cyril : C’est clairement un choix, oui. J’écoute beaucoup de groupes français qui chantent en anglais mais je ne comprends vraiment pas l’idée. Je trouve qu’il y a un vide à ce niveau-là. C’est sûr que ce n’est pas sexy, pas vendeur. Tu écoutes des super morceaux en anglais mais une fois traduits, le propos est bien fade. Le cliché du « le rock c’est fait pour être en anglais » te permet de répéter indéfiniment la même chose. C’est beaucoup plus compliqué en français. On sombre vite dans une variétoche avec beaucoup de rimes en « é » et guère plus à offrir.
Vincent : Il n’y a pas tant de groupes qui peuvent se targuer d’assumer un chant en français. Feu Chatterton réussit ça plutôt bien en ce moment même si on n’est pas exactement dans le rock. Parfois, on se définit comme un Feu Chatterton mais qui aurait des poils ! Et je dis souvent que si j’ai rejoint le groupe, c’est principalement pour les textes de Cyril.
Nico : C’est assez paradoxal de voir qu’il y a un vrai intérêt pour les textes lorsqu’il s’agit des grands auteurs de chanson française mais que cela s’arrête aux portes du rock. Avec Vent Mauvais, on se doute bien qu’on ne révolutionnera pas les sonorités rock mais on essaie de faire des textes l’essence même du groupe.
L’expression «vent mauvais »a des sens aussi poétiques que politiques et a été utilisée aussi bien par Pétain et Gainsbourg que Macron et Verlaine. Qu’est-ce qu’elle signifie pour vous ?
Cyril : Il y a une idée poétique de spleen, de mélancolie, quelque chose de poétique et gainsbourien qui nous attire. Mais c’est aussi un terme qui réfère à la révolte du peuple qui souffle à chaque époque. C’est ce qui va contre l’ordre. C’est une expression qu’on trouve également pour désigner un mauvais sort, comme les vents que les dieux envoyaient lors des batailles.
Vincent : Quand la bourgeoisie parle de vent mauvais, c’est qu’elle est effrayée par le peuple qui se révolte. C’est un esprit qui nous plaît.
Nico : Mais le vent mauvais peut aussi venir d’en haut et c’est un peu ce qu’on se prend dans la face en ce moment.
Vos textes sont éminemment politiques. Est-ce que le rock, en 2023, est encore un bon canal pour parler de la société ?
Nico : On espère, oui. La musique jouit aujourd’hui d’un accès infini et demeure un des derniers terrains d’expression libre. Même si j’avoue regretter le temps des concept-albums qui distillaient des messages forts que l’auditeur prenait le temps d’assimiler. Pareil pour notre musique, je pense qu’il faut l’écouter globalement pour la comprendre.
Cyril : Le rock a toujours été politique et se doit d’être engagé. Mais aujourd’hui les rockers ne prennent plus de risque, tout est très clean. Il faut aller puiser dans le hip-hop maintenant même s’il commence doucement à suivre la même route. Sans tomber dans le « c’était mieux avant », je trouve que la musique a un peu perdu de son essence symbolique et du message qu’elle portait. On le voit, nous, concrètement, dans les messages qu’on publie sur les réseaux ; les plus connotés politiquement nous font constamment perdre des abonnés. De nos jours, si tu prends position, tu prends le risque de faire dégager du follower.
Vincent : Parce que les auditeurs ne sont plus forcément dans la contestation. Et puis, à chaque génération sa musique. Le rap a poussé quand le rock devenait trop aseptisé. Qu’est-ce qui viendra derrière ? Peut-être la K-Pop radicalisée !
Et maitenant la question qui fâche : peut-on faire du rock engagé et en français sans être comparé avec Noir Désir ? C’est une influence ? On peut encore écouter Noir Dez en 2023 ?
Nico : Déjà, moi, j’ai enlevé tous les radiateurs chez moi. Je n’ai plus qu’un insert (rires).
Cyril : Même si aujourd’hui Cantat est persona non grata, qu’il s’est passé ce qu’il s’est passé, il faut reconnaître qu’ils ont aidé à faire grandir le rock français. Il n’y a qu’eux qui ont réussi à marquer autant en France avec l’étiquette rock. Leur influence est telle qu’elle découle forcément sur leurs successeurs, surtout s’ils cherchent à porter une attention particulière aux textes. Mais ils ont fait une telle sortie de route que je n’arrive plus à les écouter comme avant.
Et la suite alors ?
Vincent : On a fait l’EP pour avoir quelque chose de propre, une image à un moment T. La suite logique serait l’album mais je crois qu’on va plus partir sur des 2 titres qui nous permettront d’évoluer et de publier régulièrement.
Nico : L’envie est surtout de partir sur plus de live, d’élargir la zone d’action.
Avis aux bookers, le message est passé!
Avant d’échanger autour de quelques godets, nous avions demandé au trio de répondre par écrit à nos sujets d’interrockations (dont les exquises chroniques sont toujours à (re)découvrir dans notre Saison 1). Petite sélection.
Déclin de langue française, la faute à Elvis ?
La faute au french kiss! Dans le rock, la langue française souffre d’un désintérêt. Très peu osent le français, ça parle trop, cela devient trop lourd à assumer ou trop creux quand on ne sait pas faire. Beaucoup se cachent derrière un anglais rempli de banalités mais ça sonne tellement mieux. Du coup, Molière ne sévit plus que dans la variété, le commercial, le rap commercial, ce qui amplifie le phénomène. Le français peut exprimer tellement de poésie. Mais on adore se détester alors …
La réforme des retraites est-elle une menace pour la relève du rock’n’roll ?
C’est une menace tout court, une aberration, un non sens, un cadeau pour le medef et ses disciples, tous dans la rue! Ah? Trop tard…c’est le symptôme de notre époque et de ceux qui la dirigent, à savoir court-termiste et cycle court mais que pour l’argent. Peut-être que ça va réveiller le rock et le punk à la crête clairsemée ou prépubère …
Macron repoussera-t-il l’âge de départ au Club des 27 ?
Il aurait surtout mieux fait de le rejoindre …
Pourquoi faut-il boycotter le 50ème anniversaire de Dark Side of the Moon ?
On touche pas aux Floyd !
Beatles ou Stones : faut-il vraiment choisir ?
Choisit-on entre le cognac ou le whisky ? Non, on alterne.
Quelle playlist pour briser efficacement votre couple ?
Le dernier opus de Bertrand Cantat, très efficace…
Les Hard Rock Cafés seront-ils épargnés lors du Grand Soir ?
Oui, au même titre que les Buffalo Grill.
La place du punk est-elle au musée ?
Le musée n’étant pas représentatif de choses passées ou mortes, mais la vitrine de l’art, vivant ou mort, oui, il a sa place. Le punk, ce qu’il représente, manque surtout à cette époque. c’est une idée, une revendication, c’est un état d’esprit, une philosophie, un marqueur comme tous les mouvements musicaux, le rock, le hip-hop, la newwave, la techno… même les yéyés exprimaient quelque chose. C’est peut-être la musique engagée et son idée qui est bonne pour le musée. Tout est commerce. Rares sont les survivants.
Les rock stars survivront-elles au soulèvement des machines ?
L’auto-tune tuera tout le monde.
2023 au Panthéon des grands millésimes rock ?
… Y a quand même l’Ep de Vent mauvais …
Pourquoi tout le monde déteste The Police ?
Tout le monde à part Renaud.

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