Alors, ce traditionnel Top Album de fin d’année; parole d’évangile ou escroquerie généralisée? C’est qu’on s’y perdrait avec cette avalanche de nouvelles sonorités et quasi autant de recommandations charlatanesques. Pour que, vous aussi, vous puissiez créer votre Top ultime en toute autonomie, voici nos dix astuces. Et pour vous accompagner dans cette démarche et vous faire ruisseler de l’inspiration, retrouvez ci-dessous notre propre sélection pour 2023, accompagnée, cela va s’en dire, de la playlist idéale pour booster votre rentrée. Les Interrockations Saison 2, c’est parti, bienvenue à bord!
– primo, quid du classement? Par ordre de préférence? À envisager sur une courte liste afin de susciter suspens et tension et donner à votre lectorat l’impression de pénétrer votre cercle intime. Beaucoup plus risqué pour un Top 100. Honnêtement, quels sont vos critères pour distinguer votre 78ème album favori du 52ème? En revanche, si vous n’êtes pas branché classement et méritocratie, optez pour un classement par ordre alphabétique. Sobre et élégant. À votre image.
– ne prétendez surtout pas à l’objectivité. Cessez de déclamer que votre Top se veut le reflet de la quintessence de l’excellence musicale. Liste non-exhaustive de vos écoutes, vous vous rendrez vite compte que vous n’avez pas écouté grand chose cette année et vos albums favoris de 2023 seront très certainement découverts courant 2024.
– dans un même registre, ce qui vous semble la crème de la crème aujourd’hui pourrait vite tourner sour cream dans les prochaines années. Ne prétendez surtout pas que vous écouterez ces albums jusqu’à votre dernier souffle. Personne n’a oublié votre Top Album 2005 où vous pensiez avoir déniché la nouvelle sensation rock allemande en la personne de Tokio Hotel.
– don’t follow the hype! À voir les sélections consainguines de la presse spécialisée, on se demande si toutes les rédactions du monde ne se réunissent pas au même endroit en fin d’année pour se faire tourner les copies. Comment tant de Tops peuvent-ils être aussi similaires? Génie universel des oeuvres critiquées ou paresse intellectuelle des journalistes? On a notre petite idée.
– privilégiez les groupes qui démarrent, faites émerger les futurs talents. Une fois la célébrité atteinte, ils sauront se souvenir du premier journaliste à avoir parlé d’eux et ils vous couvriront de cocaïne jusqu’à la fin de vos jours. Les groupes confirmés n’ont guère besoin de votre coup de projecteur et soyez assurés qu’une bonne partie de la presse spécialisée va déjà se courber pour leur dérouler le tapis rouge. Déontologiquement assez pauvre mais plus rénumateur.
– évitez les anachronismes. Ne vous trompez pas de millésime au moment d’établir votre liste, nous sommes désormais au troisième millénaire. Parmi nos « concurrents », nous sommes tombés sur un Top qui comprenait Jethro Tull, Duran Duran, Yes, Paul Simon, Alice Cooper, Peter Gabriel. À ce niveau-là, ce n’est plus de la rock critic, c’est de la paléontologie !
– ne jamais partager votre Top au monde avant le 1er janvier! À vouloir faire comme beaucoup et publier dès décembre, vous vous retrouverez Gros-Jean comme devant quand un pur chef-d’oeuvre débarquera juste avant Noël.
– ne vous étalez pas trop dans la description des albums sélectionnés. Votre lectorat ne cherche que des pistes pour remplir sa playlist Spotify. Gardez le récit obscur de la vie de famille du producteur et les détails de fabrication des cordes de la basse utilisée pendant l’enregistrement pour votre future carrière d’écrivain et votre premier ouvrage sur le rock.
– la préférence nationale, c’est à gerber dans la bouche de Le Pen et Darmanin mais c’est toléré quand il s’agit de soutenir la scène locale. Incluez donc des groupes bien de chez nous que vous pourrez aller voir dans les petites salles de concert autour de chez vous, qui, elles aussi, ont besoin de votre soutien. Si vous tenez tout de même à soutenir l’ouverture des frontières, qu’elles soient musicales ou géographiques, allez donc dénicher cet obscur groupe de post-punk soudanais ou ce légendaire orchestre krautrock géorgien qui feront la spécificité de votre Top.
– et puis, après tout, ne vous sentez même pas obligés de citer vos réels albums coup de coeur. Tels des coins à champignons mélodiques, vous ne voudriez tout de même pas que vos chouchous deviennent mainstream.
Intersection par An Eagle In Your Mind
Dans notre Top de mi-saison, nous écrivions : « Voix hantée cherche sonorités chamaniques pour créer bande-son de road trip spirituel. Le folk-rock aux accents orientaux distillé par ce duo nomade se laisse apprivoiser sur Let Me Ride, porte d’entrée d’un album qui confine au voyage sonore, à une lumineuse introspection en sept titres ». Pas une once de magie ne s’est évaporée depuis. La marque des grands albums.
Rouge Rose par Barrio Colette
Rouge Rose, aussi, a occupé notre Top de mi-saison. À l’époque, nous en parlions comme de l’album le plus abondamment écouté de ce début d’année. Rien n’a changé et rarement un album nous aura accompagné de la sorte sur une année entière. Nous avons même réalisé il y a quelques semaines une petite interview du groupe helvète, à retrouver ici. Encore le plus sûr moyen pour découvrir et succomber, à votre tour, aux charmes des inoubliables Calafell, Je Veux plus, Bam Bam et autres Nada Juste Toi.
Superskull par Black Rainbows
Black Rainbows connaît son stoner sur le bout des doigts et en fait la démonstration sur ce nouvel opus à classer parmi ses meilleurs. Le trio italien enchaîne ici bourrasques dignes de Black Sabbath (Cosmic Ride Of The Crystal Skull), bangers façon Songs For The Deaf (Lone Wolf) mais aussi longues montées cosmiques (The Pilgrim Son) . Une masterclass pour amateurs de desert rock.
Child Of Panoptes par Child Of Panoptes
Sortie : 2023. Ressenti : 1967. Derrière cette référence mythologique à un géant aux 100 yeux, un collectif de musiciennes et musiciens officiant dans la scène revival 60’s tricolore et s’efforçant de faire revivre le Swinging London sous nos latitudes. En résulte une petite merveille qui, en quasi 35 minutes, vous ramène quasi 60 ans en arrière. Une bien belle prouesse.
The Venus Ballroom par Dead Chic
Un EP a-t-il sa place parmi un Top Album ? Oh que oui lorsqu’il est aussi percutant que ce 6 titres du quatuor franc-comtois. On pense Tom Waits, on pense fanfare maudite de la Nouvelle-Orléans, on pense fort potentiel cinématique. Et on leur prédit surtout un avenir des plus glorieux.
Can’t Find The Brakes par Dirty Honey
Les nostalgiques de Led Zep avaient de quoi se réjouir cette année ; les meilleurs tribute bands s’étaient donné rendez-vous cette année pour honorer la bande à Jimmy Page. Mais à Greta Van Fleet et Rival Sons (qui ne nous ont jamais vraiment enjaillés) nous avons préféré Dirty Honey. Sur leur deuxième opus, les californiens déroulent un classic rock oscillant entre heavy blues et rock sudiste qui, à défaut d’originalité, coche toutes les cases de son cahier des charges.
STRUGGLER par Genesis Owusu
Jamais bon signe quand une chronique musicale démarre par « Genesis » mais, rassurez-vous, il ne sera pas question ici de prog-rock surcoté. Genesis Owusu, artiste australo-ghanéen, officie dans un genre qui n’appartient qu’à lui, s’affranchissant de toute catégorisation. Piochant aussi bien dans le post-punk des Talking Heads que dans le rap de Kendrick Lamar, tout en y distillant des sonorités venues de ses racines africaines, son album STRUGGLER se veut un message de résistance face au racisme, aux guerres et aux démons intérieurs. Autre chose que les sornettes à Phil Collins.
Medicine par Goat
Le doublé pour les suédois qui avaient déjà squatté notre Top 2022 (à retrouver ici). La secte masquée réussit ici la performance de délivrer une copie encore plus lysergique que la précédente. Toujours au menu : folk messianique, afrobeat scandinave, funk de redescente. La caution lévitation de notre sélection.
II par Grande Amore
En temps normal, nous ne prêtons guère attention à la culture d’un peuple qui ose mélanger coca-cola et vin rouge. Néanmoins, Grande Amore présente le grand avantage de ne pas être tout à fait espagnol mais galicien. Confirmation était attendue après leur géniale première sortie et c’est peu dire que leur synth-punk des enfers nous aura à nouveau fait trémousser cette année. C’est bien simple, nous serions prêts à ingurgiter du calimucho pour précipiter la livraison du prochain album.
Pronounced Jah-See par Gyasi
Après le garage, le post-punk et le psyché, serait-ce enfin l’heure du revival glam rock ? Si tel est cas, alors Gyasi, en empruntant à Marc Bolan aussi bien ses sapes que son sens de la mélodie imparable, en sera le chef de file.
An Cnoc Mór par Moundabout
La dernière fois que je me suis laissé tenter par une œuvre décrite comme « un western sous acide », je me suis retrouvé devant 2 heures de film où une jeune mongole accouchait des yaks au milieu des steppes. Contemplatif ascendant bien chiant. Cette description cependant n’est pas galvaudée pour la sublime musique de Moundabout. La transe folk des grands espaces proposée ici, psalmodiée plus qu’elle n’est chantée, est certainement une des plus pures aventures sonores que vous pourrez écouter cette année. Garanti sans mugissement de yak.
Rajan par Night Beats
Night Beats n’aurait pu être qu’un énième rejeton du revival garage des années 2010, aussitôt apprécié, aussitôt oublié. C’était sans compter sur la malice de Danny Lee Blackwell, unique tête pensante du projet, qui a su, au fil des sorties, se renouveler sans cesse (un album soul, un autre pop, un autre psyché) et booster sa créativité au sein de son très recommandable side-project psyché cumbia Abraxas. Rajan, sixième étape de cette discographie, est la somme de toutes ces influences et certainement un des meilleurs crus du gaillard.
MID AIR par Paris Texas
Et si le meilleur album rock de l’année était en réalité un album de rap ? Le duo constitué par Louie Pastel et Felix n’a que faire des étiquettes. Leur flow rageux comme un mollard punk balancé sur des instrus aussi dévastatrices que celles de tenTHIRTYseven, Sean-Jared ou BULLET MAN a de quoi mettre à genoux tous les apprentis rockers de la planète.
Gathered Together par Pop Crimes
La pop sauvera-t-elle nos âmes en ces temps troublés ? Pas sûr qu’elle suffise mais, en attendant la chute, le quatuor parisien s’assure de réconforter les troupes. On tient ici une gemme comme même les british n’en ont pas produit depuis des lustres et au-dessus de laquelle planent des influences aussi brillantes que celles des Libertines, des Pixies, de Ride, des Smiths. Sorti chez le trustworthy label Howlin Banana Records, ce premier essai s’inscrit déjà comme un des sommets pop du répertoire national.
Dehors par Sarakiniko
Si le nom Sarakiniko désigne à la base une plage chaude et paradisiaque de la Mer Égée, elle désigne aussi désormais la toute aussi paradisiaque mais plus froide musique d’un one-man-band breton. Oscillant entre shoegaze et dreampop, cette collection de 10 titres est une errance onirique dont la chanson Dehors est probablement un des plus beaux titres chantés en langue française ces dernières années.
Monsters par Servo
Servo avait déjà assuré sa place dans notre panthéon personnel du rock tricolore avec son album Alien paru en 2020. Rajoutant ici une couche de chants sacrés à son psychédélisme d’outre-tombe, le trio ne laisse guère de choix à ses fidèles : la prosternation ou les enfers.
Negative Stars par Skull Practitioners
Punk blues du futur ou réinterprétation moderne du Gun Club ? Ce qui est sûr, c’est que le power trio tabasse très fort pour son entrée en matière dans le circuit rock contemporain. Carrière à suivre … pour peu que l’on se remette déjà de cette première déflagration.
The Death Of Randy Fitzsimmons par The Hives
Qui attendait encore quelque chose des Hives en 2023 ? Certainement pas nous. Qu’elle ne fût pas notre étonnement à l’écoute de ce sixième album des suédois qui délivre ici une copie sans faute de garage rock roublard. Hits en puissance (Bogus Operandi, Countdown to Shutdown), explosions punk (The Bomb), incursions funky brass (What Did I Ever Do To You?) viennent faire oublier 11 ans d’absence en 31 minutes top chrono. Le retour du retour du rock ?
UZU par UZU
Trio punk militant dont les membres venus d’Algérie, du Québec et de Colombie entretiennent l’héritage sonore des Dead Kennedys, le tout chanté en arabe. La légende raconte que Pascal Praud aurait commandé ce premier album pour le glisser sous son sapin.
Zango par WITCH
Un régal pour digger ! Groupe culte de zamrock (rock psychédélique zambien des années 70), WITCH redéboulle sur nos platines après quarante ans d’absence. Savoureux mélange d’afro-beat, de funk, de psychédélisme et de musiques traditionnelles, Zango est sans doute aucun la petite pépite world music de cette sélection.
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