Ooooh, on vous entend déjà venir : « Qu’est-ce que c’est que ce titre foireux encore ? », « On en a lu des accroches douteuses aux Interrockations mais alors celle-ci ! », « Qu’est-ce que la Britpop viendrait foutre dans le conflit israélo-palestinien? » … et bien pourquoi pas, après tout ? Pourquoi ne pas envoyer au Proche-Orient Noel Gallagher et Damon Albarn, ex-ennemis jurés du rock 90’s et désormais compères de gaudriole et de chansonnette, pour tenir une masterclass sur les bienfaits de la réconciliation ? L’idée est saugrenue ? Certes. Mais avec toutes les conneries entendues de tous bords ces quatre derniers mois, il nous semble que nous ne sommes plus à une chronique bancale près. Et puis, devons-nous vous rappeler la raison d’être de notre noble webzine gravée à jamais dans nos textes fondateurs: « répondre aux grands enjeux contemporains à l’aide de théories rock fumeuses ». Alors si là, avec un titre pareil, on ne combine pas géopolitique de haute volée et théorie des plus calamiteuses, on ne sait pas ce qu’il vous faut !
Comment aborder un sujet aussi sensible sans cramer le peu de semblant de carrière journalistique que nous nous efforçons de construire laborieusement ? Et bien, non pas en exprimant un point de vue personnel (erreur fatidique de bleusaille), mais, comme toujours, en observant intelligemment notre société à travers le prisme du rock. Voilà ce que nous savons faire de mieux et qui nous semble le plus sage ; laisser le peuple rock s’exprimer. Et c’est peu dire que ce dernier a choisi son camp. Depuis les ignobles attentats du Hamas le 7 octobre et la non-moins ignoble répression lancée ensuite par Israël, ce sont près de 4000 artistes qui ont rejoint le collectif Musicians For Palestine. Toutes et tous ont signé une longue tribune appelant à la fin immédiate des combats et à l’envoi d’une aide humanitaire à une Gaza ravagée. Parmi les signataires : Zach de la Rocha et Tom Morello, Brian Eno, Fontaines D.C., Mogwai, A Place To Bury Strangers, Fucked Up, Beth Ditto, Blonde Redhead, Pulp, Bikini Kill, Serj Tankian, Kae Tempest, Marianne Faithfull, The Lemon Twigs … des noms que l’on aurait préféré voir accolés sur une affiche de festival plutôt qu’en cette sinistre occasion. Outre cette tribune largement médiatisée, ce sont également des initiatives locales et citoyennes qui se sont lancées un peu partout en Occident afin de soutenir le peuple gazaoui : concerts de soutien de la scène punk hardcore new-yorkaise, compilations mises en vente par certains labels et dont les bénéfices servent aux associations humanitaires œuvrant à Gaza … C’est le cas en France de la compil’ Noise for Ceasefire où officient notamment Lysistrata et Fontanarosa incluant une soixante de titres (démos, reprises et exclus) et dont tous les fonds iront à Médecins Sans Frontières.
Le soutien de la communauté rock à Palestine est donc massif … et n’a pas attendu les récents événements pour le démontrer. Dès 2014, un album caritatif intitulé « 2 Unite All » comprenant des titres enregistrés notamment par Serj Tankian, Peter Gabriel ou encore le batteur de The Police Stewart Copeland, est publié afin de récolter des fonds permettant de délivrer une aide humanitaire aux palestiniens. « C’est de l’humanitaire sans commentaire. Ce n’est pas un cri. Il s’agit seulement d’aider des personnes qui en ont désespérément besoin et de séparer l’aide humanitaire des commentaires sur qui est à blâmer » clameront alors les protagonistes du projet. Une initiative pacifiste nettement moins militante que cette pétition lancée en 2021 pour appeler au boycott d’Israël et incitant les artistes à ne pas y effectuer de tournée afin de lutter contre « la ségrégation et l’apartheid » mené par le régime de Netanyahou. Patti Smith, Julian Casablancas, Thurston Moore ou encore Godspeed You ! Black Emperor avaient alors pris position. Le soutien à Palestine fait donc depuis belle lurette partie de l’attirail du rocker contestataire, toujours prompt à défendre la cause des opprimés. Le rock en éternel porte-voix des causes perdues, la guitare comme arme contre la répression. Et s’il s’agit de condamner fermement les attentats du Hamas, les plus de 28 000 personnes tuées à Gaza (dont 70 % de femmes et d’enfants) dans la riposte israélienne ne laissent guère planer le doute sur qui est l’oppresseur et qui sont les victimes. Le peuple rock, lui, sait s’en rappeler.
Puisque nous en sommes à traiter des soutiens historiques à la cause, nous ne pouvons éluder le cas d’un de ces représentants les plus actifs mais également problématiques : le cas Roger Waters. Membre de l’organisation Boycott, Désinvestissement et Sanctions, partie prenante de chaque projet appelant au soutien de Palestine, l’ex-Pink Floyd est sans aucun doute un des rockers les plus militants sur ce sujet. Un engagement qui pourrait être louable s’il n’était accompagné de suspicions antisémites. Happenings live douteux mêlant références au fascisme et à Anne Frank, accusations de racisme de la part de son ancien compère Gilmour, participation à un documentaire narrant l’influence du lobby juif sur les médias américains … La liste est longue et ce ne sont pas, dans un autre domaine, ses récentes déclarations pro-russes qui vont blanchir le personnage. En véhiculant ces clichés nauséabonds qu’il convient de condamner ici, Waters jette le discrédit sur le reste des militants. Car, oui, faut-il encore le rappeler, il est possible de critiquer Netanyahou sans être antisémite et oui il est possible de soutenir le peuple palestinien sans cautionner le Hamas. N’en déplaise aux Tartuffes de tous bords.
Quid des musiciens palestiniens ? Existe-t-il une scène musicale locale ? Nous l’avions déjà abordé lors de notre chronique sur le post-punk en ex-Yougoslavie ; le rock reste une échappatoire salvatrice lorsque les réalités géopolitiques deviennent trop pesantes. Et ce qui vaut pour Sarajevo, vaut également pour Gaza. La presse avait abondamment relaté il y a quelques années l’histoire de Raji El-Jaru, propriétaire de l’unique magasin d’instruments de Gaza et fondateur du tout premier groupe de rock palestinien : Osprey V. Loin de toute haine, ces musiciens autodidactes traitent dans leurs textes en anglais de la paix et de l’espoir et leur titre Home n’aborde rien de moins que le droit à vivre et rêver sur leur sol natal. Interrogé il y a quelques semaines par une radio étasunienne, le leader du groupe confessait toutefois que la nouvelle vague d’attaques sur Gaza marquait un sérieux coup d’arrêt sur leurs tentatives de créer une scène culturelle locale et que les efforts entrepris depuis plusieurs années auraient probablement de grandes difficultés à se poursuivre lorsque cesseront les bombardements. Selon lui, l’avenir du groupe se trouve plus probablement à l’étranger où ils pourront continuer à propager leur message … si tant est que, de leurs propres aveux, ils puissent quitter Gaza et aussi déchirants soient les adieux à leur terre natale.
Le grand départ comme seule solution viable pour les artistes palestiniens ? C’est en tout cas le chemin que s’est tracée Rasha Nahas. La jeune artiste, aujourd’hui installée à Berlin, est devenue la voix de la diaspora en empruntant une route empruntée par tant d’autres avant elle : la voix du rock et les voies de l’exil. Dans son acclamé premier album Desert, la multi-instrumentaliste décrivait son départ de sa natale Haifa vers la pluvieuse Bristol. Un album naviguant entre rock, jazz, folk et musique de cabaret acclamé tant pour la qualité de ses compositions que pour la puissance de ses textes auto-biographiques. Un succès d’estime gagné à la sueur de longues tournées partout dans le monde dont un passage très remarqué au mythique festival de Glastonbury. En 2023, sort un second album intitulé Amrat, entièrement chanté en arabe. Nahas y fait intervenir de nombreux artistes palestiniens pour conter la mélancolie de l’exil et la résistance par la création. Elle déclarera à cette occasion : « en tant que femme palestinienne, créer de la musique équivaut à exister. Et ce simple fait d’exister signifie résister dans un même souffle au patriarcat, à l’apartheid et à l’occupation ». Un album qui aurait aisément pu figurer dans notre Top Album 2023 mais dont nous voulions réserver l’écoute pour cette chronique. Il sera donc à retrouver en intégralité ci-dessous en tant que playlist du jour. Son écoute apaisante ne résoudra bien évidemment pas tous les conflits mais devrait couvrir, le temps d’un instant, les logorrhées des extrémistes politiques et religieux qui nous assaillent depuis maintenant plus de quatre mois.
Voilà donc ce que l’on pouvait dire sur le regard porté par le peuple rock sur le conflit israélo-palestinien. Bien malin qui pourra deviner de quel côté balance le keffieh des Interrockations devant une telle analyse impartiale. Ne reste plus qu’à espérer que cette chronique se joigne aux efforts communs pour un jour atteindre la paix dans cette région du monde. Car souvenez-vous, « répondre aux grands enjeux contemporains à l’aide de théories fumeuses », telle est notre mission.
PS : on me signale à l’oreillette que Liam Gallagher, lui, n’a toujours pas fait la paix ni avec Damon Albarn, ni même avec son frère et continue à invectiver copieusement les deux larrons. Peut-être pas si bon notre titre finalement. Pas gagnée cette histoire …

Laisser un commentaire