Comme le chantait l’autre sous-doué en natation de Jeff Buckley : « Hallelujah, Hallelujah, les Interrockations soufflent leur deuxième bougie » ! Bon, ok, il n’a peut-être pas réellement chanté la seconde partie de cette phrase (trop occupé qu’il était à mourir jeune et à ne pas se renseigner sur le renouveau de la critic rock) mais vous aurez compris l’idée. En cet automne 2024, les Interrockations acquièrent une année de plus et leur auteur également. Une année d’érudition rockologique supplémentaire où, l’âge avançant, de nouvelles sensibilités musicales pointent le bout de leur nez. Et parfois des plus inconcevables.
Oui, mes chères interrockazouzes, il est l’heure de me confesser.
Je … voilà … je … j’aime le saxophone.
(Cris de stupeurs / Regards horrifiés / Verres de whisky qui glissent des mains et viennent se fracasser au sol / Silence assourdissant qui s’en suit).
L’heure n’est plus au déni mais au Grand Déballage. Oui, il m’est récemment arrivé de prendre mon pied au son d’un p’tit solo de saxo bien senti. Moi, longtemps porte-parole des saxophobes (une petite amicale tout à fait sympathique qui se réunit tous les mercredis), me voilà maintenant en extase devant ces pénibles couinements laitonnés. Oh, bien sûr, je n’en suis pas encore au stade terminal où l’on se retrouve à kiffer de la musique d’ascenseur ou du jazz tout mou (Lemmy soit loué!) mais la chose est tout de même assez grave pour être chroniquée. Fut un temps où un tel événement aurait été perçu par les mayas comme l’un des signes annonciateurs de l’apocalypse. Au même titre que la nomination de Rachida Dati à la Culture ou l’invention de la bougie connectée.
C’est que, voyez-vous, au tout début de cette histoire, il me vint à l’esprit l’idée saugrenue de me remettre en question. « Vindiou de vindiou, c’est y pas possible, te v’là quand même pas tant sur le déclin mon vieux Milou. Fais bien gaffe parce qu’on connaît le chemin, hein. Saxophone, France Culture, Avignon, décès. L’itinéraire est balisé. Ressaisis-toi mon con ». S’ensuivit alors une longue introspection de quelques picons où j’analysai mes derniers coups de cœurs musicaux. Leur point commun ? Tous comportaient un bloody saxophone de mes deux. Leurs noms ? Viagra Boys, Fat Dog, Clamm, Downtown Boys, Party Dozen : a.k.a. la crème du renouveau punk. Et c’est alors que l’évidence me frappa ! Et si ce n’était pas tant moi qui avait changé mais le saxophone ? Et si le saxophone dans le rock avait cessé d’être cette immonde créature des années 80 assez sirupeuse pour vous coller un diabète de type 4 dans la minute ?
C’est que la bête est redevenue ce qu’elle avait brièvement été lors des exactions des Stooges période Fun House : une véritable arme de destruction sonore massive. À cette époque, Steve MacKay, alors responsable saxophonique en chef de la bande, repousse les limites de l’instrument et parvient à rivaliser en sauvagerie avec les guitares des frères Asheton et les miaulements de ce bon vieux Iggy. Résultat : un classic album totalement déchaîné qui annonce le punk … avec 7 ans d’avance. Les groupes sus-cités ont bien retenu la leçon. Si un fan de jazz sommeille en chacun de nous, il y a quand même moyen de lui faire porter la crête et de s’enquiller les canouches chaudes. Que ce soit le groove amphétaminé des Viagra, le génie foutraquissime de Fat Dog, les tubes révoltés de CLAMM, les hymnes communistes des Downtown ou l’Armageddon sonique de Party Dozen, ces gens-là ont su trouver la clé pour faire grincer leur instrument comme des machines des enfers et souffler leurs solos à vent vers des profondeurs de schlagitude où jamais guitare n’a osé s’aventurer auparavant. Il émane de ces sonorités des relents des bas-fonds, des symphonies pour ruelles sombres. Porté par une génération scandant haut et fort le mantra « Sax’, Drogues et Rock’n’roll », voilà cette créature revenue d’entre les morts, plus vénère que jamais, prête à fracasser tous tympans se présentant sur son passage. Façon saxophones de Jéricho. L’histoire le retiendra, à partir des années 2010, ni punk attitude ni street cred sans sax’. La playlist ci-dessous s’en veut un modeste aperçu.
Voilà donc le pourquoi du comment de mon coming out saxophonique. Radicalisation keupon ou déni flagrant de mon vieillissement ? Nouveau palier dans mon érudition musicale ou lent naufrage vers le free jazz ? Seul l’avenir nous le dira. En attendant, je vous donne rendez-vous l’année prochaine pour les 3 ans des Interrockations où je vous expliquerai en quoi la musique de chambre est l’avenir de la hardtek.
Allez, bisous.

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