16 – Iggy Pop est-il une création des reptiliens ?

Croisement des Highway 61 et 49, Clarksdale, Mississipi. Un guitariste légendaire vient de rencontrer le diable. Il signe avec lui un pacte qui restera gravé dans l’histoire du blues. Non loin de là, quelques décennies plus tard, dans un rade sombre et poisseux – sur une scène improvisée, un homme masqué s’avance, frappe au sol avec sa canne et invective le public : 

« Elvis serait en vie.

McCartney serait mort. 

Jimi Hendrix aurait simulé sa mort pour devenir Morgan Freeman.

Keith Richards aurait fait remplacer son sang par de la Suze dans une clinique en Suisse.

Dave Gahan, le chanteur de Depeche Mode, serait un vampire.

Kurt Cobain aurait été assassiné par sa femme.

Lemmy aurait inventé le Dry January.

Stevie Wonder n’aurait jamais été aveugle.

Les Interrockations seraient pilotées par Cuba. « 

Quiconque s’intéresse à la mythologie rock a obligatoirement été confronté au complotisme. Depuis ses origines, le genre a été parcouru de récits les plus farfelus sur la vie et la mort de ses protagonistes. Les affirmations sus-citées ne sont que quelques exemples de ce que l’on peut trouver sur les internets (seules trois sont des fake fake news de notre invention, saurez-vous les retrouver?). Tous ces récits, pendant de nombreuses années, ont simplement été considérés comme du folklore, de simples récits alternatifs de la Grande Histoire à prendre à la rigolade. Mais à l’heure où les théories du complot n’ont jamais été aussi présentes, où elles sont entretenues et relayées par certains « grands » de ce monde, ne faudrait-il pas s’interrocker ? Le rock n’aurait-il pas été le premier terrain de jeu de ce complotisme grandissant ? À quoi avons-nous réellement à faire : mythologie rock ou fake news entretenant le versant musical du complotisme ?

C’est quoi le complotisme ? 

Voir la main du diable ou de forces occultes, des grands plans contre les intérêts du peuple pour le manipuler ou déclencher une guerre, c’est ça le complotisme. Dans sa nature, c’est un discours réactionnaire et anti-démocratique. Notre collectif des Debunkers de hoax et rumeurs d’extrême droite (à découvrir ici) observe et analyse ces théories et la façon dont elles s’articulent depuis plus de dix ans déjà.  A l’invitation des Interrockations, nous avons dépêché notre expert ès complotisme, le professeur Débéka qui va tenter de vous parler un peu de complot et un peu de pop culture. 

Professeur Débéka :  Le récit, mes amis ! Nous avons tous besoin de raconter le monde à travers un récit ! Les ennuis commencent quand on essaie d’expliquer un monde complexe d’une façon simpliste. Ce que nous élaborons tous, c’est un récit cohérent et au moins un petit peu simple, compréhensible. Sauf que simple n’est pas simpliste. Si pour être cohérent, il faut éliminer des faits et en inventer d’autres, c’est de la fiction. Et alors si en plus de ça, ce récit fait intervenir des théories séculaires de la tradition antisémite, nous avons le bingo complotiste ! 

À l’origine, ces récits n’étaient que de simples fantasmes sur la vie et les mœurs des musicien.nes. De présumées passions satanistes en ont souvent été le point de départ. Robert Johnson a-t-il vraiment pactisé avec le Diable ? Entend-on réellement des messages satanistes cachés lorsque l’on joue certains titres de Led Zep à l’envers ? Légendes ou fake news originelles du rock ? Quoiqu’il en soit, il convient de constater que pour le fan acharné, l’histoire officielle ne saurait convenir. Si la rock star est vivante, c’est qu’elle doit être morte. Si elle est morte, c’est qu’elle doit être vivante. On ne compte plus le nombre d’artistes qui auraient disparu pour quitter le star system et vivre leur vie tranquillou, les doigts de pieds en éventail à se siffler des pina coladas. C’est la fameuse île déserte où vivraient, selon les divers témoignages : Elvis, Kurt, Morrison, 2Pac, Michael Jackson, Xavier Dupont de Ligonnès et Dora l’Exploratice. Des récits improbables que l’on aurait pensé voir s’éteindre après les dernières redescentes massives de LSD à la fin des années 70. Mais non. 

Professeur Débéka :  Mourir à 27 ans, c’est toujours moche. Alors quand des icônes du rock calanchent dans un laps de temps relativement court, c’est propre à la création d’un mythe. D’aucun.es iront y trouver quelque chose de suspect, mais mélanger drogue, alcool et médocs, ça fait rarement bon ménage. 

Une statistique étonnante, vu le nombre d’intellectuel.les, de créatif.ves et de musicos qui trouveront la mort à cet âge là, rejoignant alors le club. Double peine pour celles et ceux qui passent l’arme à gauche le jour de leur 28 ans, privé de la postérité ; le club des 27 est select. 

Mais là où ça devient intéressant, c’est que la mort des stars est toujours l’objet de fantasmes. On cherche encore cette île déserte où les musiciens continueraient le bœuf après leurs propres funérailles. Les amis, il est nécessaire de rappeler ici le principe de la charge de la preuve : à ceux qui l’affirment de le prouver. Cela ne devrait pas nous détourner d’une question essentielle, en attendant : mais pourquoi faire ? 

Et puis tant qu’on y est, pourquoi passer un disque à l’envers ? Sur la quantité de disques pressés, la probabilité d’entendre des sons vaguement audibles associés à des paroles d’outre-tombe est finalement assez importante. Curieusement, cette théorie marche moins bien avec les CD. 

Ces histoires continuent à se diffuser à travers l’odyssée musicale contemporaine et les nouvelles célébrités ne sauraient y échapper. L’avènement de Kanye West ? Il aurait été annoncé dès 1972 par David Bowie qui verrait en lui son successeur (sur la pochette de l’album, Ziggy Stardust pose sous l’écriteau de la rue K.West / le rappeur est né 5 ans après la prophétie apocalyptique de Five Years / sur son dernier album, Bowie chante « Somebody else took his place, and bravely cried (I’m a blackstar, I’m a blackstar) »). L’annonce est mystique. Lazarus / Yeezus : même combat. 

Professeur Débéka :  De quoi Kanye West est-il le nom ? 

Certains fans sont tenté.es de projeter sur les artistes des traits ésotériques, mystiques ou religieux. C’est créer du sacré là où il n’y en a pas, voire carrément l’inverse de ce que voulait faire l’artiste. 

Sauf que Kanye West est dans une dérive mystique. Il a certes reconnu être bipolaire, ce qui lui a valu d’être hospitalisé, mais ça ne justifie pas sa dérive de prophète mégalo. A force de sorties médiatiques provocatrices, il perd une partie de ses fans. Un rappeur noir qui se rallie à Trump, aux suprémacistes blancs et qui loue Hitler, c’est pas si courant. 

Pourtant, il entraîne du monde derrière lui. Surtout, il a l’appui d’un Elon Musk ravi de voir une star partir dans une quête mystico-réactionnaire sur X/Twitter.

Pour en savoir plus : 

https://www.rollingstone.fr/kanye-west-donald-trump-usa/

https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2022-10-27/kanye-west-enchaine-les-derives-haineuses-le-rappeur-va-t-il-tout-perdre-9a460ea4-b4e4-4541-8f8c-b552b5b1e411

https://www.huffingtonpost.fr/culture/article/les-propos-de-kanye-west-sur-hitler-l-aboutissement-de-mois-de-derives-antisemites_211017.html

Autre artiste visée ? Avril Lavigne. Comme McCartney en son temps, il semblerait que la chanteuse canadienne soit en réalité décédée depuis des années et remplacée par une sosie. Comme quoi, les années passent, les théories restent les mêmes, seule la qualité musicale baisse. Nous espérons toutefois sincèrement que ces deux artistes, quand i.els sentiront leur dernière heure venue, laisseront avant de s’éteindre une petite note sur leur table de chevet indiquant « tout était vrai », provoquant ainsi un véritable AVC mondial parmi la complosphère.

Alors pourquoi consacrer un papier à ces fariboles somme toute bien innocentes ? Et bien parce que, à l’occasion, elles cessent justement d’être innocentes pour proposer un récit alternatif à l’histoire avec un grand H et se rapprochent alors plus dangereusement du complotisme que de la petite légende rock. En y mêlant personnages politiques et événements réels, elles viennent entretenir la confusion sur notre rapport au monde. Par exemple. Le 11 septembre était planifié de longue date. La preuve ? De nombreux indices sont dissimulés sur la pochette de Breakfast in America de Supertramp. La CIA ? Elle a influé sur le destin du monde à plusieurs reprises. En butant, sur ordre de Nixon, toutes les figures d’une contre-culture hippie un peu trop revendicative. En l’espace de 6 mois, ciao Morrison, Joplin et Hendrix (pour flinguer autant de rockers d’un coup, les gars devaient à coup sûr être fans de jazz). Mais aussi en composant pour le groupe Scorpions la chanson The Wind of Change qui aurait, à elle seule, déstabiliser toute l’Union Soviétique. Ainsi, le complotisme rock, quand il s’empare de la chose politique, n’a rien à envier aux autres ténors du genre, faisant croire à un grand complot mondial et à des institutions toutes puissantes manipulant secrètement le cours de l’histoire. « On nous cache tout, on nous dit rien » aurait chanté le camarade Dutronc.

Professeur Débéka : Le complotisme, c’est relier les points comme ça nous arrange, en faisant fi de toute méthode rigoureuse. Et justement, la lecture de ces récits à rebours révèle les préoccupations de l’époque. 

Dans un autre registre, revoir Les trois jours du Condor, Conversation secrète, ou encore Blow up permet de comprendre l’Amérique post-Watergate. Le complot est omniprésent dans l’imaginaire américain, et il y a de quoi, c’est un pays blessé par sa première défaite militaire (le Vietnam) et qui va régner pendant des décennies en déstabilisant des pays sud-américain par des opérations secrètes. 

Pour en savoir plus : 

https://www.youtube.com/watch?v=AJM0E_x14Yc

Le complotisme rock n’est qu’une expression de son temps. Les récits alternatifs racontent les préoccupations d’une époque. 

Ces théories sont parfois véhiculées par les groupes de rock eux-mêmes. L’œuvre de Muse en est un parfait exemple. Le trio british livre depuis 2009 dans chacune de ses sorties un grand Gloubi-boulga complotiste bourré de références plus ou moins obscures : de leur tournée nommée HAARP (du nom d’un observatoire radio américain, accusé par des auteurs “alternatifs” de modifier le climat) au morceau MK Ultra (dont le nom renvoie à un véritable programme expérimental de la CIA, testant les possibilités de contrôle de l’esprit humain). Que ce soit dans Uprising ou The Globalist, il est ici sans cesse question de résistance face à une menace floue ou à un grand manipulateur non-identifié. Matthew Bellamy and co. adhèrent-ils vraiment à ces théories ou essaient-ils maladroitement de les dénoncer ? Assez évasif pour être complotiste, pas assez revendicatif pour être Rage Against The Machine !

Professeur Débéka : La CIA a-t-elle vendu du LSD pour contrecarrer la révolte des étudiants contre la guerre du Vietnam ? 

Vous avez sûrement dû vous en rendre compte, la CIA est l’officine qui revient le plus souvent dans les théories du complot. Pas étonnant, qui dit service secret dit mystère. De mystère à fantasmes, il n’y a qu’un pas, surtout quand la pop culture s’empare de « l’agence » (on l’appelle comme ça, quand on fait partie nous-même du grand complot des fact-checkers payés par Soros). 

Sauf que HAARP ou MK-ultra, ces noms qui attisent l’imagination, ont vraiment existé. On leur a simplement prêté des effets bien au-delà de leur influence réelle. MK-ultra, par exemple, était une expérience pour utiliser du LSD comme sérum de vérité. Le projet s’arrête en 1970 sans avoir donné de résultats probants. Pauvre Albert Hofmann… 

C’est la beat generation, notamment avec Allen Ginsberg et Thimothy Leary, qui va populariser l’usage de l’acide alors même que les USA entrent tout juste dans le conflit et que la contestation est encore timide. 

Autre exemple de groupe baignant dans ces eaux troubles et malheureusement plus ancré dans notre quotidien, les Eagles of Death Metal. Tristement révélé au monde pour avoir été le groupe jouant au Bataclan le soir des attentats de novembre 2015, le gang californien a, depuis, livré des analyses de l’événement plus que douteuses : les terroristes auraient pu pénétrer dans la salle de concert grâce à la complicité des vigiles, cet attentat a eu lieu car de nombreuses personnes juives travaillaient à l’intérieur du bâtiment, des musulman.e.s célébraient l’attentat dans les rues au moment même des faits, etc. Des propos basés sur aucune preuve qui n’étonneront pas ceux qui connaissaient le groupe avant ces événements,  notamment les positions de son leader Jesse Hughes. C’est que le gaillard cumule les casquettes prestigieuses : chrétien tendance créationniste, tout aussi fervent partisan pro-armes qu’anti-avortement, républicain convaincu admiratif de l’ami Donald Trump. Guère étonnant avec un CV pareil, que la bouche du bonhomme ne prononce autant d’insanités. Derrière une si belle moustache, quel gâchis ! 

Professeur Débéka

Oh hey, on va pas parler politique hein !? Reprends une mousse, tiens, on va pas se fâcher. Mes longues années d’observation des extrêmes droites ont montré une chose, c’est qu’une discussion qui commence ainsi va surtout mettre en lumière une appétence pour les trucs craignos. Pas besoin d’aller jusqu’au National Socialist Black Metal, on va retrouver des positions conservatrices, voire de droite dure dans le rock. 

Tenez, vous avez adoré « Zombie » des Cranberries ? Oh on aime la ritournelle et la chanson est revendicatrice, mais on ne fait pas abstraction du fait que Dolores O’Riordan est une catho tradi, une dure de dure qui condamne l’avortement. L’antithèse de Sinead O’Connor, une autre irlandaise tombée au champ d’honneur du rock. 

C’est pas beau de vieillir ! On se retrouve parfois à devoir dire « c’était mieux avant », ne serait-ce que parce que ça nous éviterait de voir un Johnny Rotten, leader de feu les Sex Pistols, soutenir Donald Trump. 

« Ha oui mais avec vous, on peut plus rien écouter » 

Tenez, l’humble professeur Débéka qui vous parle adore la chanson Baby Please Don’t Go de The Amboy Dukes, tout en ayant découvert depuis que le leader du groupe est une crapule notoire, raciste, masculiniste et fidèle adhérant à la NRA. Detroit est la ville des sons rugueux, du MC5 et des Stooges, d’un rap hardcore, et des pionniers de la House, elle a produit aussi des musiciens bien fachos. 

Le cas Eagle of death metal ne devrait pas nous surprendre, le rock n’est pas toujours un vecteur de contre-culture et la liberté est une notion à qui on peut faire dire plein de choses : des libertaires hédonistes de Monterey jusqu’aux libertariens qui soutiennent les suprémacistes. Allez comprendre. 

Alors, comment conclure cette affaire ? Si ce n’est en constatant que le rock, comme tout un pan de la société, a pris part à ce grand brouillard complotiste. En tant que premier grand courant de pop culture mondial, il a alimenté et fourni toute une tripotée de théories désormais bien ancrées dans l’imaginaire collectif. Aujourd’hui moins influent, il a cédé la place au rap game qui lui aussi désormais se charge de répandre la parole de ces artisans du doute. Que faire donc contre ces désinformations s’insinuant même dans nos styles musicaux favoris ? S’informer, encore et toujours. Et aux bonnes sources s’il-vous-plaît ! Ainsi, nous tenons à remercier chaleureusement le collectif des Debunkers de hoax et  rumeurs d’extrême droite pour leur featuring du jour mais également pour leur travail au quotidien contre les fake news de la fachosphère. À l’heure où ces théories sont de plus en plus relayées et ce jusque dans les hautes sphères de notre gouvernement actuel, il est primordial de gagner la bataille des idées sur le terrain. Une bataille longue et éreintante mais nécessaire.

Sur ce, on vous laisse, on va s’écouter Reign in Blood de Slayer. Paraîtrait que quand on écoute l’album à l’envers, on peut y entendre un audio book de Martine à la Plage.

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Pour soutenir le travail des Debunkers, vous pouvez les suivre ici et .

Pour répandre les théories des Interrockations (certifiées rock’n’rollesques et non-complotistes), ça se passe ici.

Un commentaire sur “16 – Iggy Pop est-il une création des reptiliens ?

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  1. Il ne faut pas oublier que certains de ses complots prennent naissance dans des nouvelles de SF assez intéressantes ..

    une partie des nouvelles ayant lien le rock avaient été rééditées dans un recueil (gratuit à l’époque) Rock’N’Roll Altitude en 2000 chez Denoel (j’en ai parlé plusieurs fois dans divers ecrits ou radio)

    Le jumeau de Elvis, le concert secret des morts à 27ans, Jimmy Hendrix , des nouvelles écrites dans les années 70 (début) volontairement SF (donc pas réelles).

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