Nous v’là bientôt débarrassés d’Halloween. Enfin. Des semaines et des semaines que l’on se fade dans nos rayons de supermarché de la camelote en forme de citrouilles, de la sucrerie en quantité suffisante pour te diabétiser toute la nouvelle génération et des masques dégueus de Freddy Krueger ou de Bruno Retailleau. L’était bien temps que se termine cette kermesse. Heureusement, aux Interrockations, on sait rentabiliser les grandes occasions pour en tirer des chroniques à la pointe du journalisme. Et en ces heures de frayeurs mercanto-capitalisées, on s’est demandé : le rock fait-il encore flipper sous les chaumières ?
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C’est que, pendant des piges, faut bien le reconnaître, y avait bien que le rock pour terroriser la ménagère. Dans le domaine culturo-musical, on faisait pas mieux. Un règne de la terreur sans partage et incontesté. Les autres styles pouvaient bien aller se rhabiller. Le jazz, la pop pour les proprets et les bien élevés. Le rock pour les loubards et les marlous. Faut dire que le gaillard savait se donner les moyens de ses ambitions. Transgressions, outrances, excès : la panoplie parfaite du gendre pas très idéal. Alors que le rock écrivait sa légende à grands coups d’extravagances, il en a fait trembler des guibolles. Et pas à la Elvis ; Shake, Rattle and Roll. Non. Plutôt à te terroriser les braves gens, les samaritains, l’ordre établi et toute la clique. « Menace pour la jeunesse », « musique du diable », « déclin civilisationnel », « ennemi public number one ». Le genre de commentaires que tu souhaiterais pas recevoir sur ton Trip Advisor. Pourtant, c’est de cette réputation sulfureuse que se sont nourris pendant des décennies les rockers les plus habités par leur cause. Et ce sont leurs frasques et leurs modes de vie qui ont fait vaciller un temps les valeurs traditionnelles. Les affaires de drogue des Stones, la contestation hippie de Lennon, les orgies sexuelles de Led Zep, le satanisme de Black Sabbath, les provocations horrifiques d’Alice Cooper, les scarifications d’Iggy, l’androgynie assumée de Bowie, l’anarchisme des Pistols, pour ne citer que ces quelques faits d’armes, ont donné du grain à moudre aux puritains de tous bords tout au long de ce qui est communément appelé « l’âge d’or du rock ». Et aujourd’hui ?
Aujourd’hui, la donne a changé. Pour choquer les masses, encore faut-il occuper l’espace médiatique. Ce qui n’est plus le cas du rock depuis belle lurette. Pas que la chose se soit éteinte ou qu’il ne sorte moins de chefs-d’œuvre qu’avant (n’en déplaise aux sectaires du C’était Mieux Avant) mais les projos se sont simplement braqués ailleurs. Vers d’autres genres musicaux ayant pris le relais de Menace Principale (big up à toi le rap !). Et puis, les outrances d’hier ne sont plus celles d’aujourd’hui. C’est qu’on en a vu depuis les sixties, on ne se laisse plus impressionner aussi facilement. La drogue ? Votre banquier en prend. La nudité ? Elle est partout sur nos écrans. Le satanisme ? Un paisible hobby du samedi soir. La fameuse guillotine d’Alice Cooper peut-elle encore choquer quand des vidéos de décapitations sont si facilement accessibles en ligne ? Ce dernier, longtemps considéré comme le grand prêtre du shock rock, le confiait dans une récente interview : “aujourd’hui, personne n’essaie vraiment de choquer le public. Je ne pense pas que qui que ce soit fasse encore du ‘shock rock’. C’est toujours divertissant de regarder les accessoires et tout le reste. Ces éléments restent dans le spectacle parce qu’ils sont amusants à regarder”. De danger musical prompt à pervertir la jeunesse à divertissement pour soixantenaires blasés ; la chute est brutale. Mais que voulez-vous ? Des vidéos de massacres aux canulars de McFly et Carlito, on trouve aujourd’hui assez d’horreurs sur les internets pour ne plus être choqués par les exubérances de Kiss et consorts.
Mais si le rock ne fout plus la frousse à grand monde, lui, en revanche, aurait bien de quoi s’inquiéter. De flippant à flippé, y a qu’un pas ! Et c’est qu’y en aurait des motifs pour faire tomber le trouillomètre à zéro, te pousser les miquettes en alerte rouge. En vrac : la disparition progressive des petits festivals de niche et des cafés-concerts, la nouvelle norme de raquer 300 boules pour voir des grabataires sur scène, les festoches qui se transforment en loisirs de riches, comment les vieux punks tournent vieux réacs, les cons qui gémissent sur la mort présumée du rock mais ne font rien pour soutenir la scène émergente, l’évolution musicale des Red Hot Chili Peppers ou bien encore le triomphe de Coldplay. Y a là de quoi te faire blêmir le plus téméraire des rockers !
Mais revenons à nos moutons noirs ; y aurait donc vraiment plus personne pour faire trembler la baraque ? Et en allant traîner notre couenne du côté du métal ? Après tout, ça reste encore et toujours le genre idéal pour une bonne playlist d’Halloween ! Devrait y avoir là-dedans suffisamment d’attirail pour ébranler les ayatollahs du bon goût, non ? C’est en tout cas ce que nous dit l’excellent et très recommandable documentaire The History of Metal and Horror (trailer juste au-dessus). Pis, les derniers à avoir réellement terrorisé leur monde viennent de ces horizons-là. Slipknot et Marilyn Manson sont p’têtre bien les derniers en date à avoir représenté le pire cauchemar de l’Amérique (et donc de la planète). Pendant plusieurs années, leurs exactions clownesques / guignolesques mêlées à des sonorités extrêmes / indus ont fait d’eux les derniers artisans de la Peur. Combien de parents puritains se sont inquiétés de voir leur marmaille écouter ces mélodies diaboliques ? Là, ça mouillait les couches chez les darons républicains ! Mais voilà, là aussi, l’histoire commence à remonter. Depuis, la dédiabolisation a tourné à plein régime. Le métal est devenu folklore. Pas une année sans que des médias en mal d’inspiration n’aillent se taper un petit reportage au Hellfest pour nous expliquer que les métalleux ne sont en réalité que de grands nounours plutôt portés sur la bière tiède et les tubes de Bernard Minet que sur les sacrifices humains. Le tout dans un festival pour cadres friqués tenant plus du parc d’attraction que du Q.G. terrestre des Enfers. Y a guère plus que la mère Boutin pour songer à faire exorciser les lieux. L’horrifique est devenu pop-corn. On se mate désormais les films de Rob Zombie comme on se tape le dernier épisode de Camping Paradis. Et n’abordons même pas le sujet des croisières de plaisance pour métalleux … Ah ça, pour partir voguer entre bourgeois-hardos, y a du monde ! Mais pour cramer des églises en Norvège, y a plus personne !
Alors, serait-ce à dire que plus rien ne fait trembler le rupin ? Que là haut ça se prélasse peinard dans son jacuzzi, plus soucieux de rien ? Évidemment que non ! Y a qu’à voir comment il a suffi de grimer le Philippe Katerine façon schtroumpf nudiste pour mettre en PLS les culs-bénits parisiens. Sont mêmes allés jusqu’à se recueillir sur le lieu de « l’outrage », ces illuminés. Quand l’auteur de La Banane réussit à choquer plus fort que tous les groupes de death de ces vingt dernières piges, c’est somme toute révélateur. C’est que ce qui inquiète désormais en haut lieu, ce n’est plus tant le blouson noir ou le crêteux mais bien cette idéologie sabotant pernicieusement notre civilisation : le wokisme ! Oui, le péril woke est en la demeure et il n’est désormais menace plus grande. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un œil du côté des baromètres de la peur que sont BFM et CNEWS. Pas une émission qui ne traite de cette ombre planant sur notre patrie. Le métier des gonzes est quand même de refourguer au chaland de la trouille par palettes de douze. Ils s’y connaissent les bougres ! Et c’est pas avec un reportage sur le nouvel album de La Femme qu’on va faire de l’audimat, hein. Plus de quoi s’inquiéter de ce côté-là, non. Visez-nous donc plutôt le danger islamo-gauchiste ! Là, ça va faire transpirer dans les casbahs. Et c’est précisément là que le rock moderne se doit de s’engouffrer.
Et c’est ce que fait une toute nouvelle génération de groupes, prête à dépoussiérer le bordel. Prendre la scène pour y aborder les causes féministes, LGBTQIA+, anti-racistes et/ou anti-fascistes ; voilà le programme d’une nouvelle frange du Peuple Rock qui n’est pas s’en irriter une autre. Suffit de constater le foin provoqué par le passage des Vulves Assassines aux Vieilles Charrues cet été ! Mettez trois meufs punks bien politisées sur scène et voilà toute la fachosphère en PLS. Déferlement de haine sur les réseaux comme pas possible. Leur seul tort ? Proposer une relecture moderne et contestataire du rock qui déplaît fortement aux vieux gardiens du temple dont la nostalgie tourne de plus en plus au conservatisme. Un comble pour un genre qui se voulait anti-establishment à ses origines. Mais ça, les Vulves, comme les autres, n’en ont bien rien à secouer. Les mâles blancs punks qui vieillissent aussi mal que leurs bières en canouche ? Pascal Praud qui vante son côté anar’ ? En v’là de la nouvelle cible à aller titiller, de la valeur actuelle surannée à aller karcheriser. We Hate You Please Die ou les Psychotic Monks en France, IDLES ou les Lambrini Girls chez les british, elle est là la nouvelle garde du Woke’n’Roll ! Dernière émanation en date d’un style musical qui retrouve ses lettres de noblesse contestataires en s’inspirant de ce vivier à wokistes qu’a toujours été le classic rock (non-binaire comme Bowie, éco-terroriste comme Midnight Oil, anti-fa comme les Dead Kennedys ; la liste est infinie) … n’en déplaise à ces soixante-huitards séniles qui pensent désormais que contre-culture rime avec zemmourisme. La jeunesse rock a bien pigé que c’est pas avec un folklore pseudo-horrifique ou des simulacres d’hémoglobine qu’on allait inquiéter les bonnes vieilles valeurs traditionnelles. Terroriser le puissant, et c’est de ça qu’il s’agit, ça passe par la gouaille et les actes, le discours et le militantisme. Et, hallelujah, nos groupes playlistés du jour s’attellent à en écrire la bande-son.
Alors, tenez-vous prêts, le Grand Méchant Rock est de retour, avec pour seul mot d’ordre :
Make Rock Terrifying Again.

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