« Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie ».
Vindiou que c’est beau une Interrockation qui commence par une citation de Camus ! Surtout quand il s’agit de traiter un thème aussi guilleret. Car si le philosophe s’interroge sur la nécessité du suicide, le rocker, lui, va plus loin. La mort, certes, mais à un âge bien précis. Pour rejoindre le panthéon des musiciens éternels, il semblerait que certains aient opté (plus ou moins volontairement) pour le choix du départ anticipé. Et c’est bien à ce questionnement hautement punko-existentialiste que nous nous attellerons de répondre aujourd’hui : pour réussir dans le rock’n’roll, faut-il mourir à 27 ans ?
Et la réponse est bien évidemment, oui ! Qui se souvient encore de nos jours de ces vedettes éphémères des années 60/70 nommées Mick Jagger, David Bowie ou Ringo Starr ? Personne ; cette incompréhensible envie de vieillir les ayant poussés vers un immuable anonymat. À l’inverse, les noms de Kurt, Jim, Amy, Brian resplendissent dans l’immortalité grâce à cette petite amicale de vingtenaires qu’ils ont su fonder et qui leur a garanti une gloire des plus éternelles. Mort prématurée = postérité assurée ; le constat est froid, simple et sans équivoque. Loin de tout folklore ou mythologie, il s’appuierait même sur des arguments scientifiques. C’est en tout cas ce qu’a affirmé récemment le célèbre psychanalyste Freudy Mercury : « à partir de 28 ans, l’organisme des rockers devient particulièrement sensible à la propagation des métastases folk et/ou jazz. Ceux-ci s’insinuent dans leur psyché et les pousse à vouloir enregistrer des albums plus conceptuels, plus matures ou comme on dit dans le jargon musical … où on se fait chier la b***. Certains musiciens, ceux au surmoi le plus affûté, comprennent alors que la mort reste la meilleure manière de ne pas se compromettre et d’atteindre les porte du paradis sans avoir perdu de leur street cred’. Leur corps développe donc instantanément des réflexes d’auto-destruction les poussant à s’enfiler soit des guns dans la bouche soit le PIB de la Colombie dans les naseaux. La partie est à ce moment-là pliée pour eux ». Qui saurait s’opposer à une destinée biologique si implacable ?
Cette réalité reste néanmoins dure à encaisser pour les nombreux musiciens déjà engagés dans le circuit rock et ayant déjà dépassé cette date limite depuis belle lurette. Il nous arrive d’ailleurs régulièrement de recevoir, dans les bureaux molletonnées du secrétariat des Interrockations, des courriers de ces dits musiciens. Leur contenu est généralement celui-ci : « ô grands ayatollahs de l’intégrité rock’n’rollesque (ndlr : c’est ainsi que nous surnomment nos disciples et notre maman), j’ai 55 ans, puis-je encore mourir à 27 ? ». La réponse est malheureusement, non. La mort à 27 ans n’étant pas qu’un état d’esprit mais bel et bien, avant toute chose, une réalité arithmétique. En effet, rien n’est plus pathétique que de mourir à 27 ans si vous en avez déjà cinquante bien tapés ! Oh, certains procrastinateurs et autres traîne-savates auront certainement l’idée de boycotter ce chiffre pour lancer leur propre petit club privé mais la chose n’est pas si aisée. Il existe très certainement un club des 28 ou des 36 … mais dont tout le monde se contrefout royalement ! C’est que le business plan est déjà pris, le 9 x 3 a déposé le copyright, sorry les amigos. Pour atteindre la postérité, prière de trouver une autre idée.
Vous l’aurez compris, avoir la présence d’esprit de mourir jeune requiert un tempo des plus exigeants … ainsi qu’une une hygiène de vie des plus reprochables. Combien ont loupé le coche en prenant soin d’eux, en prenant les bonnes décisions ou en résistant à vices et tentations ? Faites donc fi des lobbys hygiénistes et ne cédez pas aux sirènes de cette abstinente génération Z qui ne sauraient provoquer que l’étiolement du sex, drugs and rock’n’roll. Ce n’est pas avec de la kombucha et des baies de goji que vous allez vous étouffer dans votre vomi, alors du nerf! It’s a long way to the top if you wanna claboter avant vos trente piges ! Si Rome ne s’est pas faite en un jour, il en va de même pour l’overdose du camarade Kurt dans cette même ville en 94. La mort à 27 ans, ça se travaille en amont !
Devant l’abnégation que représente une telle tâche, l’on peut légitimement se demander si le jeu en vaut bien la chandelle. La postérité et après ? Qu’a à offrir l’immortalité pour souffrir tant de sacrifices préalables ? Des rivières de Picon ? Une nuit d’amour avec les Viagra Boys ? 72 vierges peut-être ? La supposition est terroristo-saugrenue mais vous le concéderez, bien qu’inversée, la numérologie est ici sensiblement similaire. Quoiqu’il en soit, les avantages d’un tel sacerdoce ne sont pas que célestes mais avant tout terrestres. Car à ne pas mourir à temps, le musicien se condamne à arpenter des sentiers damnés. Parmi ceux-ci, celui de la remise en question. Passé un certain âge et un certain temps dans le show-biz, le zikos se retrouve en proie aux doutes existentiels et à l’envie irrépressible de réorienter sa carrière, passant alors par des phases des plus douteuses : crooner (coucou Iggy), chrétienne (coucou Bob), dubstep (coucou Korn), disco (coucou David). Pour sûr, un coup à se saloper la réputation ! Alors qu’à vingt ans, en sus d’être invincibles, on n’a pas d’états d’âmes, on ne tergiverse pas sur ses choix artistiques, ça dépote dans sa zone de confort, ça te pond du chef-d’œuvre à la pelle et ça te garde la street cred’ immaculée ! En voilà de l’avantage immédiat ! Et cela n’est encore rien par rapport à l’autre garantie suprême procurée par un départ à la retraite anticipé : celle de ne pas vieillir vieux con ! En effet, quoi de pire que de voir ses premières amours musicales renier leurs convictions juvéniles, tourner vieux réac’ ou sombrer façon pilier de PMU ? Hendrix ou Janis ont-ils eu le temps de se faire cancel ? Non ! L’au-delà précoce comme unique remède à l’inexorable décrépitude morale.
Enfin, nous ne saurions achever notre brillant plaidoyer en faveur de la retraite à 27 ans sans un ultime conseil : n’oubliez surtout pas de composer un ou deux chef-d’œuvres rock avant de vous lancer dans cette aventure ! Du gonze débouté aux portes du Club, il y en a la pelle. Qui pensait tutoyer la postérité sans avoir rien glandé au préalable. Calancher tôt ne vous exonère pas d’être créatif. La gloire éternelle, certes, mais faudrait quand même pas pousser.
En playlist du jour, des groupes qui ont pris la bonne résolution de ne pas écouter nos élucubrations et de nous régaler de ces quelques pépites à la place.
Et pour que les Interrockations atteignent les 27 ans de carrière, n’oublie pas d’aller liker sur les réseaux (ici ou là).

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