Un blaze en forme de manifeste, un amour immodéré de la protest song façon Woody Guthrie et quelques années passées sous l’aile (gauche, cela va sans dire) de leur mentor Tom Morello ; voilà qui vous pose un CV. Celui de The Last Internationale. Le duo new-yorkais, composé de Delila Paz (chant) et Edgey Pires (guitare), prêche, depuis 2014 et son premier album We Will Reign, un retour à un rock authentique, engagé et humaniste. Nous avons échangé avec eux en plein milieu de leur bien-nommé Kick Out The Jams Euro Tour pour une interview des plus militantes à t’en réveiller l’esprit du MC5.
(English version below)
Salut Delila, salut Edgey, merci beaucoup de répondre à nos questions ! Aux Interrockations, on adooore parler des liens entre rock’n’roll et sujets de société, c’est pourquoi nous sommes si excités d’échanger avec vous, héritiers revendiqués de la protest song. Comment ça va en ces temps politiques troublés ?
Merci. On a l’impression que l’époque a toujours été troublée politiquement mais là il faut bien admettre que l’on vit une drôle de période. Ce qui nous surprend, c’est le silence de la scène rock quand d’autres genres ou même des célébrités d’Hollywood se sont publiquement exprimées sur les injustices criantes et le génocide qui sont diffusés en temps réel à la télévision et partout sur internet. La lâcheté morale collective des musiciens rock est plus que honteuse et n’a jamais été aussi apparente.
Vous tournez depuis maintenant presque deux ans avec votre troisième album Running for a Dream qui est aussi le titre d’un de vos morceaux. Est-ce que, depuis sa sortie, la signification de ce titre a évolué avec les changements actuels dans votre pays ?
On ne constate pas tant de changements dans notre pays. Certains problèmes peuvent être exacerbés par une administration, comme on peut le voir avec l’agressivité des ordres de déportation de Trump et le musellement des protestations étudiantes par les fascistes. Mais il ne faut pas oublier que c’est Obama qui a fait déporter plus d’immigrants que n’importe quel autre président dans l’histoire. Ces présidents marionnettes servent tous le même maître. Notre musique, elle, sert le peuple. Donc s’il a bien quelque chose qui évolue, c’est nous le peuple et pas les politiciens.
Dans vos interviews, vous critiquez parfois la scène rock pour son manque d’engagement et d’unité. Est-ce que l’époque ne serait pas propice à faire renaître l’esprit révolutionnaire du rock’n’roll ? Quelles actions concrètes les groupes devraient mettre en place pour y arriver ?
Ce que nous avons remarqué dans le rock, c’est que les gens sont toujours en avance sur les groupes. Ce sont les fans qui incarnent cet esprit révolutionnaire que beaucoup de groupes mainstream refusent d’apporter. Mais nous sommes persuadés que beaucoup de petits groupes ont cet état d’esprit. Ce qu’il faut c’est nous organiser car trop de nos idoles nous ont laissés dans le fossé.
Ce qui pourrait être cool à voir c’est la mise en place par les groupes d’un réseau ou d’une organisation où nous pourrions tous facilement nous entraider quant à la programmation de spectacles, le partage de sono, la location de vans, les plans logements, etc. Une forme d’entraide plus pratico-pratique qui nous rendrait plus fort face aux compagnies géantes qui nous exploitent. On adorerait savoir comment démarrer un truc pareil mais tout ce qu’on peut faire pour l’instant, c’est aider comme on peut. On n’a pas les réponses mais ce qu’on sait c’est que ce niveau d’organisation créé de la solidarité et radicale les gens, c’est pour cela que les pouvoirs en place ne veulent pas qu’on s’y mette.
Pour te filer un exemple, au moment même où on écrit ces lignes, on est littéralement assis dans un van Sprinter hors de prix, loué à une compagnie qui ne s’intéresse qu’à ses profits et qu’on a dû payer en intégralité avant même d’avoir pu récupérer le van ! Ça serait incroyable s’il existait une sorte d’organisation collective des musiciens, qui posséderaient leurs vans, leur sono et proposeraient de l’aide sur la route ! Sans oublier de mentionner le pouvoir que nous aurions en tant que travailleurs à chaque fois qu’un label ou une grosse compagnie de tickets essaieraient de nous la faire à l’envers, comme c’est souvent le cas. Peut-être qu’on parle là en fait d’un grand syndicat radical !
Vous avez déclaré vouloir que votre groupe transforme la vie des gens. Comment se porte ce projet jusque là ?
L’art est l’un des moyens les plus efficaces pour transformer la vie des gens. C’est la sincérité des récits des gens que nous rencontrons à nos concerts ou qui nous écrivent sur les réseaux qui nous donnent la force d’avancer. Ces petites résolutions ont le potentiel pour faire boule de neige et créer quelque chose de plus grand. Mais cela demande beaucoup de solidarité et d’organisation. Il y a du pain sur la planche ! C’est Pete Seeger qui l’a le mieux formulé quand il disait : « si la musique seule pouvait changer le monde, alors je ne serais que musicien ».
Vous n’avez pas de manager, pas de label, vous créez votre propre merch et artwork. Est-ce que le Do It Yourself est une manière d’atteindre la vraie intégrité rock’n’roll ?
Le Do It Yourself est une nécessité. C’est soit faire soi-même ou rien ne se fait. C’est très gratifiant mais pas toujours très marrant.
J’ai maintenant quelques questions express pour vous :
- Le groupe le plus politique de tous les temps ?
Victor Jara. Pas vraiment un groupe mais qu’importe !
- Le politicien le plus rock’n’roll ?
Un politicien rock’n’roll, ça n’existe pas ! On déteste voir Obama ou Jimmy Carter apparaître dans presque chaque documentaire rock. Ça n’a aucun sens. Nos valeurs ne correspondent pas à celles de ces criminels de guerre. Si quelqu’un pense que Carter n’appartient pas à cette catégorie, on lui recommandera fortement de se renseigner sur le génocide dans le Timor Oriental et sur l’envoi d’armes que le soi-disant « président de la paix » a signé avec le dictateur le plus brutal de la région.
- La protest song ultime ?
Il n’y en a pas une en particulier. Les protest songs servent des moments spécifiques dans l’histoire et ont toutes le même but. « Manifesto » de Victor Jara et « We Shall Overcome » sont de très bons exemples.
- Une chanson, un livre ou un film que n’importe quel artiste politisé devrait connaître ?
Une histoire populaire américaine de Howard Zinn.
Et une dernière petite question. Vous êtes maintenant en plein milieu de votre tournée française. Qu’est-ce que vous attendez de votre séjour en France ?
Cette tournée française dépasse pour l’instant toutes nos attentes. Le public est incroyable, nous venons juste de jouer deux concerts d’affilée qui affichaient complets. Le promoteur (GDP) fait un travail phénoménal, ainsi que les équipes locales et Marie, notre manager sur ce french tour, qui s’assure que tout roule convenablement. Nous ne pourrions être plus reconnaissants, merciii !
Hi Delila, hi Edgey, thanks a lot for answering to our questions ! Our webzine loooves to talk about the connections between rock’n’roll and social issues, that’s why we’re so excited to exchange with you, one of the last true protest band. How do you guys feel in those politically troubled times ?
Thank you. We feel that times have always been politically troubled, but we guess we can all admit that we definitely live in strange times. What surprises us is the silence from rock when other genres and even Hollywood celebrities have been speaking out against the gross injustices and genocide that have been playing out in real time on TV and all over the web. The collective moral cowardace from rock musicians is shameless and has never been more apparant.
You’ve been touring for almost two years now with your third album Running for a Dream which is also the name of one of your track. Since its release, did its meaning evolve with the current changes in your country ?
We don’t see much change in our country. Certain problems may be exacerbated by one administration, as we are seeing with Trump’s aggressive deportation orders and the fascist silencing of student protesters. But it was Obama who deported more immigrants than any other US president in history. These puppet presidents all serve the same master. Our music serves the people. So if anything is evolving, it’s us (the people), not politicians.
During your interviews, you sometimes criticize the rock scene for its lack of commitment and unity. Wouldn’t it be the best times now to renew the revolutionnary spirit of rock’n’roll ? Which concrete actions rock bands should organize to do so ?
What we noticed about rock as a genre is that the people are always ahead of the bands. The fans embody the revolutionary spirit, but overall the mainstream bands refuse to bring it. We believe there are a lot of small bands that do have the spirit though. What we need to do is organize because too many of our idols have left us all for dead.
What would be cool to see is some kind of network or organization put together by bands where we can all easily help each other out with booking shows, sharing backline, van rentals, sleeping accomodations, etc. A more practical way of helping each other and make us stronger against the giant companies that are exploiting us. We wish we knew how to get this started, but we are down to help in any way we can. We don’t have the answers. But we do know that this level of organization builds solidarity and radicalizes folks, which is why the powers that be don’t want us to do it.
To give an example, as we write this we are literally sitting in a sprinter van that is very expensive and rented from some company that only cares about profits. And they make us pay in full before picking up the van! How awesome would it be if some kind of collective organization of musicians owned the vans, the backline, and offered help on the road? Not to mention, the power we would have as workers every time a label or big ticket company tries to screw us, as so often happens. Maybe what we’re talking about is one big radical union!
You declared you wanted your band to transform people’s life. How’s this project going so far ?
Art is one of the most effective mediums to transform people’s lives. It’s the heart-felt stories from people that we meet at our shows or the messages that we receive on socials that keep us going. These small revolutions have the potential to snowball into something much bigger – but it takes a lot of solidarity and organizing. There is work to do! Pete Seeger worded it best when he said, « If music alone could change the world, then I would only be a musician. »
You have no manager, no record label, you create your own merch and artwork. Is DIY a way to reach a true rock’n’roll authenticity ?
DIY is a necessity. It’s either do it yourself or nothing gets done. It’s very fulfilling, but not always fun.
I now have some flash questions to you :
- The most political rock band ever ?
Victor Jara! He is not a band, but who cares.
- The most rock’n’roll politician ever ?
No such thing. We hate seeing Obama and Jimmy Carter in almost every rock documentary. It makes no sense. Our values are not aligned with war criminals. And if anyone things Carter is not in that category, we would strongly comment they read about the genocide in East Timor and the arms renewal the so-called « peace president » signed with the most brutal dictator of the region.
- The ultimate protest song ?
There isn’t one in particular. Protest songs serve specific movements in history and all have the same purpose. « Manifesto » by Victor Jara and « We Shall Overcome » are great examples.
- Any song, book or film any politicized artist should know ?
A People’s History of the United States by Howard Zinn.
And one last question. You’re now a few days ahead of your french tour. What do you expect from your stay in France ?
The France tour so far exceeds all of our expectations. The crowds are incredible, we just played two sold out shows in a row, the promoter (GDP) is doing a phenomenal job, and the local crews and our French tour manager, Marie, is making sure everything runs smoothly. We couldn’t be any more grateful. Merci!!!

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