27 – Comment faire splitter un one-man band ?

Devenir une rock star, vous ne l’ignorez sans doute pas, est chose relativement aisée. Ce qui, en revanche, requiert plus d’habileté et de savoir-faire est de cesser de l’être. Quitter son groupe, et par la même le rock’n’roll game, en apothéose n’est, en effet, pas à la portée du premier venu (ou du premier velu si vous êtes fan de stoner). Car, quand l’on se retire d’une telle profession, il s’agit de le faire avec autant de panache que l’on en a mis dans sa carrière et ses compositions. Un départ en demi-teinte n’est donc pas à l’ordre du jour et ne saurait vous être pardonné ni par les dieux ni par votre fanbase. Ainsi, pour vous éviter un unanime courroux, nous nous attellerons, dans cette ultime chronique de notre saison 2, à vous donner les clés pour un split aussi fracassant qu’éternellement mémorable.

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Comme me le susurrait sur l’oreiller, il y a encore peu, le plus si young Neil : « it’s better to burn out than fade away ». Et même si mon gars sûr made in Texas avait encore bien raison sur ce coup-là, il s’agirait toutefois de préciser qu’il est malheureusement bien plus courant et aisé de fade away que de burn out. Et c’est d’ailleurs la voie que bien trop de groupes empruntent au moment de tirer leur révérence : du départ timoré, de l’adieu sans éclat, du pot de départ sans parfum de scandale. Clairement pas le genre de sortie pétaradante prompte à vous ouvrir les barrières de la highway to hell. Bien trop nombreux sont les groupes qui optent pour la facilité et se séparent pour de ternes raisons, à grands coups de motifs fallacieux et d’excuses molles : et ouin ouin ouin Machin il est plus crédité que moi sur l’album, et ouin ouin ouin je n’ai pas assez de place dans le groupe pour exprimer ma créativité, il me faut une carrière solo, et ouin ouin ouin la nouvelle copine du guitariste elle est méchante avec nous … Toujours les mêmes vieilles rengaines, toujours les mêmes raisons de splitter. Originalité nulle, style inexistant. De consternantes chamailleries surannées, menant souvent aux mêmes mornes procès ou pire, à d’infâmes séparations à l’amiable, soit le climax de l’anti-rock’n’roll.

Or, saviez-vous que 87 % des fans de rock souhaiteraient voir leur groupe favori connaître une mort brusque, que 74 % d’entre eux seraient prêts à payer pour voir leurs musiciens préférés se battre sur scène et qu’enfin 56 % des groupies d’un artiste aimeraient que ce dernier disparaisse de manière mystérieuse afin de lui entretenir un culte aussi éploré qu’ésotérique à travers les décennies à venir. Des chiffres qui, même s’ils ont été inventés de toutes pièces par l’institut de sondage des Interrockations pour les besoins de cette enquête, sont néanmoins révélateurs du besoin de sensations fortes exigé par le public au moment de la séparation d’un orchestre rock’n’roll digne de ce nom. Ainsi, pour parvenir à satisfaire ces (un tantinet fausses) réalités statistiques, un artiste cherchant à quitter son groupe de manière légendaire se doit de donner le meilleur de lui-même. Et si cela n’est pas forcément chose aisée, convenons-en, il peut compter sur les exemples de certains de ses illustres prédécesseurs pour y puiser une inspiration salutaire.

En effet, la grande Histoire du rock n’est pas avare en cas pratiques de tonitruantes cessations d’activités. On peut même les distinguer en deux catégories :

– les premières sont celles dites individuelles. Un seul membre du groupe décide de claquer la porte avec pour objectif : faire mettre la clé sous le paillasson à toute l’entité musicale. Si vous tombez, tâchez de ne pas tomber seul. Technique de la terre brûlée, après vous le déluge. Pour atteindre la postérité, votre départ doit marquer la fin définitive de votre groupe. Chômage technique pour toute la clique. Nous mettrons ici en lumière le cas de John Bonham, qui, au moment de quitter ses fonctions au sein du Zeppelin, n’a pas fait dans la demi-mesure. A-t-il tenté de négocier une mollassonne rupture conventionnelle ? Non, le gonze Bonzo a donné de sa personne, s’est fait pété la musette avec 40 shots de vodka et hop fin du bal, coma éthylique de légende, ciao le plus grand groupe de tous les temps (enfin, les temps où les Viagra Boys n’existaient pas encore, cela s’entend). Voilà une fin de CDI qui force l’admiration. Notez toutefois que cette pratique individuelle du split peut s’avérer risquée. En effet, vous n’êtes pas à l’abri que vos anciens compères décident de vous remplacer par le premier trouduc’ venu pour continuer à encaisser la moula. Cette technique ne saurait donc fonctionner que si chacun s’engage à respecter les règles de la décence et de la bienséance et que l’aventure musicale de votre groupe cesse une fois votre cadavre complètement refroidi (une reformation nostalgique occasionnelle toutes les deux ou trois décennies saurait être pardonnée, ne soyons pas des bêtes).

– la seconde catégorie est celle des explosions groupées. De celles où tout un chacun s’attelle à saborder l’entreprise. Car, ne l’oublions pas, le rock’n’roll est avant tout un sport collectif dans lequel, comme l’affirmait ce chef-d’œuvre de philosophe qu’est Bad Boys « on roule ensemble, on meurt ensemble ». Un dicton notamment appliqué à la lettre par le groupe The Exploding Hearts qui, plutôt que de se séparer en de mauvais termes pour un pathétique prétexte comme tant d’autres, décidèrent (guère de leur plein gré, certes) de se fracasser en voiture à la sortie d’un concert. Retour létal. Fin de bal tragique. Mais a-t-on connu sortie de route plus authentique que celle-ci ? Un split définitif, à l’inverse, entre autres, de celui des frangins Gallagher qui avaient pourtant tout pour boxer dans la catégorie des séparations les plus tumultueuses de l’odyssée du rock. On aura beau penser ce que l’on veut d’Oasis, mais force est de constater que les Remus et Romus mancuniens avaient su soigner leur sortie. Rivalité familiale entretenue depuis des décennies, ultime baston dans les coulisses, des milliers de fans laissés en pleurs. Le drama-scénario était parfait. On tenait probablement là la fin de groupe la plus rock’n’roll depuis la création du genre. Un modèle qui aurait pu inspirer les générations futures s’il n’avait pas été terni par la récente et cupide reformation de cet été. Car, faut-il le rappeler, pour qu’un split obtienne son label d’excellence, il se doit d’être définitif. Ces retrouvailles ultérieures ne doivent être envisagées qu’en ultime recours, au moment où les huissiers viennent frapper à votre porte, jamais avant. Il en va de votre crédibilité et de votre honneur. Elles n’apportent, d’autant plus, en général, aucune plus-value à l’histoire originelle. Avait-on réellement besoin d’un troisième volet des Bronzés ? Je crois que nous connaissons tous la réponse à cette question.

Vous l’aurez constaté, entre accidents, pugilats et autres overdoses, les exemples à suivre pour un split plein de panache sont donc légion. Ce qui ne devra pas vous empêcher de réfléchir à vos propres glorieuses échappatoires. En effet, originalité et ingéniosité seront jugées au moment du grand examen final ; l’occasion de vous creuser les méninges en quête d’anecdotes rock’n’rollesques inédites, comme le camarade Ozzy savait en pondre dix à la journée du temps de son prime. Envisagerez-vous une orgie avec les grand-mères de vos camarades musiciens provoquant ainsi une brouille irrémédiable ? Ivre, écraserez-vous un fan un peu chétif lors d’un slam mal contrôlé vous envoyant purger plusieurs années de prison ? Céderez-vous à la mode du MMA pour régler les conflits internes du groupe sur un octogone ? Serez-vous éternellement ostracisés sur les réseaux après une story se voulant bienveillante mais s’avérant grossopho-antisémito-misogyne ? L’ensemble de votre crew restera-t-il perché après que vous avez confondu LSD et menthe poivrée dans le diffuseur d’huiles essentielles du tour bus ? Tant d’options légendaires semblent encore à écrire …

Ainsi s’achève donc notre exposé sur les bienfaits et nécessités d’un split de haute volée. Vous l’aurez compris, dissoudre votre groupe bien-aimé est parfois le plus sûr moyen d’écrire l’Histoire. Après tout, l’actualité l’a démontré, il est des dissolutions qui peuvent vous secouer un pays. Soyez de celles-ci.

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Une p’tite playlist de groupes incroyables n’ayant pas encore splittés pour clôturer c’te affaire ?

Et en ce qui concerne les one-man webzines, sachez que de tels engeances ne splittent jamais. Elles se réinventent. C’est en tout cas ce que vont faire les Interrockations après cette 27ème chronique venant clore cette épique Saison 2. Finies les chroniques écrites, cela est assuré. Pour le reste, place à l’imagination. De quoi sera fait le futur de notre cher blog’n’roll ? Adaptation en série Netflix ? En comédie musicale ? Influenceurs TikTok depuis un pays du golfe persique (les Interroqatar) ? Lemmy seul le sait ! Ce qui est sûr, c’est que notre Saison 3 ne sera pas le Chinese Democracy de la blogosphère et reviendra sur vos écrans prochainement.

Alors en attendant, stay tuned, read our shit, drink Picon and love each other !

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