Le MaMA (ou MarchĂ© des Musiques Actuelles), câest LE rendez-vous incontournable des professionnels de lâindustrie musicale. Ă la mi-octobre, Ă Paname, avec Pigalle comme théùtre des festivitĂ©s. Trois jours de rencontres, de showcases, de confĂ©rences et de musique live pour se remplir le carnet dâadresses ou pour se gaver de concerts des futurs reustas de demain. On Ă©tait prĂ©sent Ă cette 16Ăšme Ă©dition et plutĂŽt que de vous livrer nos impressions sous forme dâun monotone live report jour par jour, on a plutĂŽt optĂ© pour une iconoclaste et fictionnelle auto-interview. Letâs go.
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Comment vous est venue lâenvie de participer au MaMA ?
Les Interrockations : Oh, câest assez simple. Lâan dernier, nous avons interviewĂ© MADAM quelques semaines aprĂšs quâelles ont jouĂ© au MaMA. Nous nâen avions jamais entendu parler (du MaMA, pas de MADAM), elles nous en ont expliquĂ© le principe, qui, disons-le tout net, nous en a fait frĂ©tiller la moustache dâexcitation. Puis, de fil en aiguille, en activant nos relations dans le show-biz, il nous a Ă©tĂ© possible de dĂ©crocher la sacro-sainte accrĂ©ditation pour lâĂ©vĂ©nement.
Comment se prépare un tel événement ?
Câest sĂ»r quâil y a un peu de prĂ©paâ, on ne monte pas Ă la capitale la fleur au fusil. Pas question de partir en dilettante. Le programme est tellement dense quâon sây noierait Ă ne vouloir que papillonner au grĂ© des envies. Toute cette histoire a bien demandĂ© quelques heures dâĂ©coutes et de recherches pour arriver Ă un petit planning de derriĂšre les fagots mĂȘlant confĂ©rences aux intitulĂ©s aussi excitants quâune grille des programmes chez ARTE (passĂ©s 30 ans, cette phrase est malheureusement Ă prendre au 1er degrĂ©) et concerts que lâon prĂ©dit candidats Ă de futurs souvenirs mĂ©morables.
Et alors, concerts mémorables y a-t-il eu ?
Ah ça oui, on sâen est mis plein les esgourdes ! Toutes ces heures de recherches sonores prĂ©alables ne furent pas vaines. Deux concerts Ă la Boule Noire nous viennent immĂ©diatement en tĂȘte. Le rap de 22Carbone nous avait fait de lâĆil sur la programmation mais sâest rĂ©vĂ©lĂ© encore plus marquant sur scĂšne ! Grosse gratte trash metal pour accompagner un flow rap aussi musclĂ© quâun raclement de gorge de James Hetfield : mĂ©lange des genres explosif, performance de haute volĂ©e ; le trio marseillais a retournĂ© le public parisien. Belle claque ! Lâavant-veille, le set de The Ninety2 nous avait dĂ©jĂ bien secouĂ©. Des visuels entre Tron et les meilleurs graphismes de ta bonne vieille Super Nintendo, un son oscillant entre indie rock, groove, synthwave et french touch et cette apparition miraculeuse de Craig Walker, ex-chanteur dâArchive, pour une reprise Ă©pique du lĂ©gendaire Fuck U. Nâen jetez pas plus, on a tutoyĂ© les anges !
Dâautres dĂ©couvertes impromptues ont-elles Ă©gayĂ© votre sĂ©jour ?
Oui et câest lĂ toute la beautĂ© du MaMA. Pigalle en gĂ©olocalisation. Terre de perdition pour les uns, eldorado de la flĂąnerie pour dâautres. Entre chien et loup, quand lâivresse commence Ă vous caresser, on se laisse porter de salle mythique en salle mythique, au grĂ© des rencontres. Et câest comme ça que lâon ouvre inopinĂ©ment les portes des Trois Baudets pour dĂ©couvrir lâunivers de Savanah. Une dream pop Ă©thĂ©rĂ©e aux accents lynchĂ©ens qui nâauraient pas pu trouver plus bel Ă©crin que la cĂ©lĂšbre salle parisienne comme rĂ©miniscence Ă cet instant prĂ©cis du Club Silencio de Mulholland Drive. Certaines des mĂ©lodies susurrĂ©es ce soir lĂ nous obsĂšdent encore plusieurs semaines aprĂšs.
Y a-t-il eu quelques flops aussi ?
Immanquablement, tout ne fĂ»t pas Ă notre goĂ»t. Il nous est arrivĂ© de tomber par accident sur des concerts de rânâb autotunĂ© ; le genre de musique qui serait probablement utilisĂ© par nos geĂŽliers Ă Guantanamo pour nous faire avouer des crimes que nous nâaurions pas commis. Mais lâavantage du MaMA, câest que la plupart des concerts se dĂ©roulent dans des salles de lĂ©gende comme La Cigale. Ă dĂ©faut de sâintĂ©resser Ă ce qui se passe sur scĂšne, on peut se consoler en admirant moulures, balcons et autres merveilles architecturales de lâĂ©poque. Câest un pâtit tip que nous avait filĂ© StĂ©phane Bern durant lâenterrement de la Reine Elizabeth.
Vous parliez tout Ă lâheure de tout un programme de confĂ©rences Ă©galement ?
On pourrait mĂȘme dire quâil sâagit lĂ du gros des festivitĂ©s pour des journalistes socio-rockologues de notre trempe ! 10h-18h Ă gratter des notes et tant pis si quelques canouches sirotĂ©es tardivement la veille viennent parfois Ă nous faire regretter ce dĂ©vouement scolastique. En mĂȘme temps, quelle joie de fouler les scĂšnes du Trianon ou de lâElysĂ©e Montmartre (Ă dĂ©faut de les fouler un jour en tant que musicien, soyons rĂ©alistes) pour assister Ă des Ă©changes de premier ordre. Pour notre part, nous nous Ă©tions concoctĂ© un programme avec pour grand axe les enjeux politiques et sociĂ©taux de lâindustrie de la musique. Jugez par vous-mĂȘmes quelques uns de ces intitulĂ©s aux petits oignons : « Chante, joue et tais toi ?! A lâaube dâĂ©chĂ©ances dĂ©mocratiques majeures, oĂč est la parole des artistes ? », « Les musiques actuelles au dĂ©fi des Ă©lections municipales : quels enjeux pour la filiĂšre ? » ou bien encore « Culture : le grand bond en arriĂšre ? ». Aguichant, non ?
Quâest-il ressorti de tous ces Ă©changes ?
Des constats assez sombres, on ne va pas se mentir. Ce qui est en principalement ressorti, câest que parler de la culture aujourdâhui, câest forcĂ©ment Ă©voquer les dangers que reprĂ©sentent lâavĂšnement de lâIA, les changements climatiques et principalement la montĂ©e de lâextrĂȘme-droite. Le panel des intervenants est assez unanime lĂ -dessus : quâils soient français, slovaques ou britanniques, quâils soient dĂ©putĂ©s europĂ©ens, artistes, journalistes ou gĂ©rants de label. La culture est lâune des premiĂšres cibles lors de la montĂ©e des fascismes, qui ne cherchent pas tant Ă la supprimer mais Ă se lâapproprier pour en faire une arme de propagande. Pour tout vous dire, on a mĂȘme appris que câest la Hongrie de Viktor Orban qui reprĂ©sente le plus gros budget culturel dâEurope ! Les fascistes cherchent Ă imposer leurs valeurs dans la sociĂ©tĂ© et cela passe par la destruction de la culture comme valeur dâĂ©mancipation telle que nous lâavons toujours connue. DâoĂč la nĂ©cessitĂ© de bataille culturelle Ă mener ; un terme qui sâest imposĂ© rĂ©guliĂšrement dans chacun des dĂ©bats auxquels nous avons assistĂ©.
Comment les musiciens peuvent-ils mener cette bataille ?
Tout au long des différentes conférences, plusieurs embryons de débuts de semblants de balbutiements de pistes ont été évoqués :
– sâinspirer des arts de la rue qui, eux, ont Ă©tĂ© structurĂ©s et politisĂ©s dĂšs leur crĂ©ation Ă la fin des annĂ©es 60 et qui ont su faire de la rue un espace de crĂ©ation et de revendication tout en menant une quĂȘte de lĂ©gitimitĂ© auprĂšs des institutions (regroupement des compagnies pour mieux sâorganiser, crĂ©ation de fĂ©dĂ©rations rĂ©gionales, rĂ©daction de manifestes, dialogues avec les services publics).
– en partant du constat que les musiciens sont peu reprĂ©sentĂ©s dans la structuration de lâindustrie musicale, souligner le fait que les artistes ont besoin de se rapprocher, de se fĂ©dĂ©rer entre eux, de partager leurs connaissances, de connaĂźtre leurs droits. Il devient impĂ©rieux de mettre son Ă©nergie dans le collectif, de contacter des structures existantes comme la GAM (Guilde des Artistes de la Musique) ou des syndicats comme la CGT Spectacle.
– crĂ©er un rĂ©seau dâartistes prĂȘts Ă se dĂ©placer ensemble et Ă crĂ©er de lâaction culturelle dans les villes oĂč ils sâarrĂȘteraient, non pas pour un concert dâun soir, mais pour des rĂ©sidences de plusieurs jours afin de tisser des liens et entamer des dialogues plus profonds avec le public, avec des personnes dâidĂ©es contraires.
– inverser le paradigme : ne plus parler de personnes engagĂ©es mais plutĂŽt de personnes dĂ©sengagĂ©es. Rappeler quâil nây a rien de politique Ă parler de son quotidien. Chacun a son mot Ă dire sur le monde dans lequel il vit.
– remettre la culture au centre des dĂ©bats politiques et rappeler son importance aux communes Ă lâorĂ©e des municipales. Montrer ce quâil advient des salles de spectacles quand le RN sâempare des mairies (théùtre murĂ© par Bruno MĂ©gret, festival de journalisme chahutĂ© par Louis Aliot). Cela passe par une politisation revendiquĂ©e de la situation culturelle.
– remettre en question les formes de cultures proposĂ©es pour ne pas stigmatiser les cultures populaires au dĂ©triment dâune culture sâapparentant Ă celle dâune gauche dite intellectuelle. Sous peine de conforter le RN dans son rĂ©cit dâune hĂ©gĂ©monie culturelle de gauche depuis des dĂ©cennies quâil serait temps de remplacer.
– crĂ©er un Ă©lan dâactivisme crĂ©atif. Sâunir pour rĂ©sister dans de grandes manifs artistiques et ainsi mobiliser le public sur les sujets importants. Lier fĂȘte et musique politique comme le faisaient le punk, le reggae ou le rock des sixties.
Il subsiste donc quelques motifs dâespoir ?
Oui, fort heureusement ! On a assistĂ© Ă une confĂ©rence relativement feel-good, intitulĂ© « Les festivals de musique comme moteurs de changement » oĂč Ă©taient conviĂ©s les directeurs et directrices de la FĂȘte de lâHumanitĂ©, du Sziget Festival (en Hongrie) et du Roskilde (au Danemark) ; soit les Avengers du festoche militant. Dâimmenses Ă©vĂ©nements culturels qui restent respectivement prĂ©curseurs dans les combats anti-fascistes, pro-LGBT et fĂ©ministes dans leur propre pays et de par les combats menĂ©s Ă chaque Ă©dition. Il a Ă©tĂ© rappelĂ© le pouvoir fĂ©dĂ©rateur de la musique et le sens dâappartenance quâil procure Ă la jeunesse. Les festivals sont donc des occasions parfaites dâatteindre des personnes peu conscientisĂ©es sur certains sujets, de promouvoir des valeurs de tolĂ©rance et de libertĂ©, de dĂ©velopper lâĂ©ducation populaire. Comme le souhaitait lâutopie festivaliĂšre originel des 60âs, il faut pouvoir repartir dâun festival avec une graine dâespoir, avec le sentiment de pouvoir changer les choses une fois de retour Ă la maison.
Et puis, on a aussi assistĂ© Ă deux CosyLab, des formats Ă la cool, assis sur des canapâ ou au sol, façon joueurs de djembĂ©s et fumeurs de chanvre oĂč tout un chacun peut prendre la parole. Les thĂ©matiques ? « Activisme et musique â comment la musique aide-t-elle Ă rĂ©sister » et « Imaginaires et futurs dĂ©sirables dans la musique ». Lâoccasion dâĂ©couter un peu les initiatives des festivaliers du MaMA au quotidien pour rendre ce bas-monde meilleur. Y avait mĂȘme le chanteur de ShakaPonk qui intervenait dans ces dĂ©bats-lĂ . Et si câest peu dire que sa musique ne nous a jamais fait papillonner le bas-ventre, il faut bien admettre que le gars est carrĂ©. ArrĂȘter son groupe par prĂ©occupations environnementales sans que ça ne soit une pose et puis surtout re-rĂ©flĂ©chir de fond en comble les diffĂ©rentes strates de lâindustrie musicale pour en rĂ©duire lâimpact Ă©cologique (jusquâau savon utilisĂ© dans les SMAC, vindidiou), nous on dit respect ! Bon, on ira pas jusquâĂ vouloir réécouter My name is Stain mais quand mĂȘme !
Un petit mot pour résumer ces trois jours de MaMA et pour conclure cet entretien fictif ?
Sémillant.

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