I – Déclin de la langue française: la faute à Elvis ?

Les médias conservateurs sont en émoi. Notre belle langue serait menacée. Des redondantes polémiques sur les terroristes du « iel » à l’arlésienne de l’éducation déclinante de notre jeunesse (certainement la faute aux rappeurs), il y aurait péril en la demeure. Sapée de l’intérieur … mais pas que. L’ennemi guette à nos portes. Son nom : l’anglicisation. Voilà quasi soixante ans que les hordes phonétiques anglo-saxonnes ébranleraient la langue de Sardou. Le rock’n’roll, pur émanation de l’entertainment américain des années 50 (peu ou prou l’équivalent musical du chewing-gum et du coca-cola) aurait-t-il sa part de responsabilité ? Quel lien le rock français entretient-il avec la langue d’Elvis ? Enquête.

Lorsque le séisme Presley ébranle une bonne partie du globe au mi-temps des fifties, il ne faut pas attendre longtemps pour que ses répliques se fassent sentir sur notre sol. Le genre devient rapidement à la mode bien que moqué par certains de nos plus illustres concitoyens. Boris Vian, fan invétéré de jazz, prend en horreur ce style musical et décide de s’en moquer en publiant en 1956 quatre parodies (chantées par le très punk Henry Salvador) dont le fameux Rock’n’roll Mops. La blague potache se retournera contre lui : le titre sera un succès.

Les premiers rockers made in France, on les connaît. Ils se nomment Johnny Hallyday, Eddie Mitchell et Dick Rivers. Des blazes qui transpirent le vieux saloon du Texas mais qui au moment de chanter, fleurent plutôt la guinguette de Melun. Le chant en anglais, ce n’est pas pour tout de suite. Accent dur à assumer ? Volonté d’apporter une touche frenchy ? Dans tous les cas, l’exercice à ses débuts relève plus de la traduction des classiques que d’une vraie proposition créative. Dylan et Beatles seront largement réinterprétés par les Tomer Sisley de la guitare à six cordes. Quand viendra l’heure des compositions originales, le choix de la préférence nationale sera assumé. Les pionniers ont statué : le rock peut aussi se conjuguer en français.

Un choix audacieux qui attirera d’ailleurs certaines moqueries venues de l’étranger. Un célèbre nudiste à lunettes rondes (Gandhi ou Lennon, je ne sais jamais) allant même jusqu’à comparer le rock français au vin anglais. What a disgrace ! Alors que l’on attend toujours la vinasse british qui nous fera changer d’avis (nous contacter par mail pour l’envoi de bouteilles), le rock français a, lui, depuis fait ses preuves.

Les décennies suivantes ne changeront pas grand-chose à la donne. Qu’ils atteignent le succès populaire (Téléphone, Trust) ou animent la scène alternative (Bérus, Sheriff, Wampas…), la plupart des groupes semblent avoir sciemment séché les bancs des cours d’anglais. Les exceptions à la règle sont rares. Les Variations, Dogs et autres Thugs seront parmi les rares à s’inscrire en anglais renforcé. Ces derniers jouissant même d’un petit culte chez l’oncle Sam en signant chez Sub Pop, label où squattent également les dénommés Nirvana. Quelques petits excentriques répondant au nom de Magma tenteront de biaiser les débats en inventant leur propre langue mais cela est une autre histoire.

Alors il opère quand ce grand remplacement linguistique ? Pour notre part, on miserait une piécette sur les années 90, durant le règne sans partage de Noir Désir sur le rock français. Cantat, pourtant pas le plus manchot pour manier la langue française (même si être manchot lui aurait évité bien des soucis quelques années plus tard), chante sans complexe dans la langue de son idole Jeffrey Lee Pierce. Il serait donc possible pour nos musiciens de s’exprimer en anglais sans avoir à rougir. La barrière linguistique vient de s’écrouler et c’est toute une nouvelle génération de groupes bercée aux paroles de Morrissey, Smith et consort qui va franchir le pas. Un choix qui va s’avérer payant pour une poignée d’élus qui verra s’ouvrir les portes de l’international, avec un joli succès d’estime à la clé (Melody’s Echo Chamber, Gojira, Mars Red Sky …).

Serait-il donc impossible aujourd’hui de fredonner franchouillard ? Que nenni. Disons simplement que désormais les pistes sont brouillées et il n’est pas rare de voir passer des groupes d’une langue à l’autre avec une nonchalance déconcertante. Le label Born Bad Records, baromètre du bon goût musical à la française, en est un parfait exemple en signant aussi bien des groupes chantant en français (Usé, La Femme, Cyril Cyril) ou en anglais (Frustration, JC Satan, Villejuif Underground). Seul point en commun entre ces orchestres : ils sont ce qui se fait de mieux sous nos latitudes en ce moment même.

Concluons en disant que la langue française n’est mise en péril que par ceux qui tentent de la scléroser. Ce ne sont pas trois refrains rimant avec « I love you » qui la mettront à mal. Peu importe l’idiome choisi, la scène tricolore semble ne s’être jamais aussi bien portée et c’est bien ça l’essentiel. Pour prouver nos dires, une playlist des plus bilingues (contemporaine et évidemment non-exhaustive).

Source image en tête d’article : ©Capture d’écran/INA, Bouillon de culture du 29/09/1995/ France 2

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