2 – Bon alors, ça donne quoi le monde sans Shane MacGowan ?

Un papier sur Shane MacGowan quasi deux mois après sa mort ? On aura connu des odes funéraires plus pressées que celle-ci me direz-vous. Certes, mais que voulez-vous, le jour du décès, les Interrockations étaient encore en pause, gentiment au chaud en train de se sculpter caloriquement le winter body. Et puis, après tout, s’il y a bien des gens qui ne s’offusquent pas des retards, c’est bien les défunts. En outre, avec ce timing des plus foireux, ça nous permet d’écrire une chronique sur le plus grand soiffard de l’histoire du rock’n’roll en plein dry january et ça, c’est une exclusivité rien que de chez nous.

[Interruption promo : pour une autre chronique de qualité sur ce mois d’abstinence éthylique et le rapport quasi mystique que les rockers entretiennent avec la boisson, vous seriez bien avisés de (re)lire nos investigations de l’an dernier sur ce sujet right here. Fin de l’instant promo.]

Les hommages auront été nombreux … de civils, de journalistes, de politiciens, de compères rockers. Presque aussi nombreux que les pintes descendues dans les rues de Dublin ou dans le moindre pub de l’île d’émeraude pour rendre hommage au leader de The Pogues … dont les refrains ont résonné pour ce qui semblait des instants éternels. Alors que reste-t-il à écrire ? Guère, nous le concédons. Si ce n’est, que deux mois après, il reste comme un sentiment diffus que cette disparition ne vaut pas celle d’une autre rock star. De la tristesse et de la nostalgie bien évidemment, comme il se doit à chaque fois qu’un chevalier du rock rend les armes mais également un je-ne-sais-quoi qui rend le manque laissé par le londono-irlandais plus troublant encore. À quoi cela est-il dû ? Serait-ce parce que Shane était la dernière rock star ultime ? En quoi surclassait-il tous ses collègues ? Pourquoi l’humanité ne sera plus tout à fait la même désormais ? Tentative d’explications.

– parce que ce sont ses « exploits » ivrognesques qui ont donné naissance à la fameuse phrase « attention, cette cascade a été réalisée par un professionnel, n’essayez surtout pas de la reproduire chez vous ».

– parce que, désormais, il ne reste plus que Bono pour représenter l’Irlande à l’étranger et ça, c’est un coup à flinguer le tourisme local.

– parce qu’il a littéralement donné son corps pour la cause rock : une oreille qu’il s’est fait bouffer en plein pogo pendant sa jeunesse punk, ses chicots (ou leur absence) les plus emblématiques du circuit, un regard devenu fou pendant ses années d’errance, des jambes incapables de le porter sur la fin et un foie presque aussi dévasté que Gaza actuellement. C’est bien simple, à chaque bougie soufflée, son corps prenait dix ans dans le cornet. L’anti-Benjamin Button.

– parce que Shane parti, c’est une petite victoire des hygiénistes et des lobbys de l’eau minérale.

– parce qu’il était le Diego Maradona des mers celtiques, incarnation charismatique du jusqu’au-boutisme qui dépassait les frontières de sa seule discipline. Toujours conscient de ses origines prolétaires, un vrai héros du peuple comme peu en naissent et le restent malgré le succès.

– parce qu’en (re)popularisant Dirty Old Town, il a donné un hymne à massacrer phonétiquement à tous les fêtards non-anglophones du monde.

– parce qu’atteindre 66 ans est déjà un score plus qu’honorable au vu de son CV éthylique. Et malgré ce CV, il ne s’est jamais étouffé dans son vomi comme ces petits joueurs de Bon Scott et John Bonham.

– parce que peu ont, comme lui, incarné la voix de la diaspora, des exilés, des dingues et des paumés et qu’il ne va pas falloir tarder à leur trouver un nouveau représentant.

– parce que Shane parti, c’est une petite victoire des dentistes et des lobbys du dentifrice.

– parce qu’il a su rendre le folk irlandais le mouvement le plus punk de toute l’histoire le temps de quelques albums merveilleux.

– parce qu’il n’a jamais appelé à voter Fillon ou à embrasser un flic. Comme quoi, on peut vieillir ivrogne sans en perdre pour autant sa dignité.

– parce qu’aussi à l’aise pour descendre les mots que coucher les bouteilles (ou serait-ce l’inverse?), il laisse un peu plus orpheline la race des écrivains alcooliques de génie. Team Bukowski.

– parce que, contrairement aux revues musicales qui passent plus de temps à remplir leurs colonnes nécrologies qu’à débusquer l’avenir du rock, les Interrockations se sont jurées de n’écrire que deux odes funéraires dans leur carrière: pour Shane et pour Lemmy. Mais on préfère ne pas songer au jour où Lemmy s’en ira …

Ainsi donc se poursuit le monde sans Shane.

Fu*k le dry january. Levons nos verres.

Sláinte camarade!

Pas de playlist aujourd’hui. Non. Allez plutôt vous enquiller en intégralité cette petite pépite de The Mary Wallopers, parue en 2023. Pars tranquille Shane, la relève est assurée.

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