5 – Qui pourra s’opposer au retour du néo-métal ?

Ouais mec, cette chronique est pour toi.

Toi, l’érudit rockologue dans ta tour d’ivoire. Foulard autour du cou, bottes impeccablement cirées, Ray-Ban de jour comme de nuit, old fashion jusqu’au bout des arpions.

Toi qui écrit la Grande Histoire du Rock, toi le noble conteur des discographies parfaites, toi qui pendant des années y a sciemment ignoré la bande-son de ma jeunesse.

Ton règne est révolu.

IL est de retour.

Interlude : 13 secondes. 8 coups de marteau. Un éclat de verre. Les vrais reconnaîtront.

Le néo-métal est de retour, mon pote. Que tu le veuilles ou non, la bête repointe le bout de son museau. Le New York Times et le Courrier International y consacrent des papelards, c’est dire la gravité du sujet.

Korn, Deftones, Slipknot, System Of A Down, Linkin Park, Limp Bizkit … nouveaux albums, tournées à succès, featurings à gogo, morceaux inédits, cartons sur les réseaux ; les planètes sont alignées.

Toi qui, au début des années 2000, a complètement dédaigné ce nouveau genre musical, te voilà bien embêté. Tu as longtemps voulu me faire croire que le rock s’était éteint au même moment que l’encéphalogramme de Kurt. Peu ou prou au moment de ma naissance. Ce qui égalait à me faire croire que désormais, écouter du rock se conjuguerait obligatoirement au passé.

Aussi, pensais-je trouver ton approbation quand je débarquai avec, sous le bras, mes Toxicity et Meteora. « Regarde, la messe n’est pas encore dite, il est là le rock de ma génération ». Quel ne fut pas ton rire de mépris à ce moment-là ! Trop white trash. Trop de pantacourts et de casquettes à l’envers. Trop de scratching. Trop de rap. Comment diable cela pourrait-il rejoindre le grand récit rock international ? Voilà comment la bande-son de ma jeunesse se voyait refuser l’entrée dans les livres d’histoire.

À y repenser, il est vrai que cette musique devait symboliser beaucoup (trop, certainement) pour toi : la musique d’un nouveau millénaire, consciente de l’importance du hip hop et de l’électro, plus innovante, plus ouverte aux mélanges de styles, loin du conservatisme du classic rock. Tant de « mauvais goût » avait dû t’effrayer à l’époque. Mais, une question me vient, ne serait-ce pas cette position d’intraitable Gardien du Temple Rock qui t’aurait mené, aujourd’hui, à penser comme Tonton Finkielkraut ?

La génération Z ne s’y trompe pas, elle. C’est elle qui relance les hostilités, qui réveille la bête. Et on ne parle pas là de trois cas isolés. Le phénomène est massif. Tous ces kids nés entre la fin des années 90 et 2010 ont bien pigé le truc. Les thèmes abordés par Deftones, Korn ou Limp Bizkit n’ont pas pris une ride. Angoisse, santé mentale, haine, rejet de la société, tout ce qui a été chanté hier peut encore l’être aujourd’hui. La colère quand elle est authentique traverse les époques. « My ge-ge-ge-neratioooon » comme chantait Fred Durst ! Roger Daltrey ? Connais pas.

Tatouages, fringues cent fois trop larges, la dégaine typique est à nouveau de sortie. Billie Elish, qu’on ne pourrait guère qualifier musicalement de rock, en est un parfait étendard. On n’attend plus que son coming out sonore ! Coming out que d’autres artistes ont déjà réalisé. Des groupes de la nouvelle génération, plutôt étiquetés punk ou rap, ne cessent de déclarer leur flamme au néo-métal en interviews ou en chansons directement. FIDLAR, Soft Play (anciennement Slaves) l’ont récemment démontré. La preuve en vidéo ci-dessous.

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Mais le plus incroyable représentant de cet improbable revival se nomme Wargasm ! Duo british formé en 2018 par Sam Matlock et Milkie Way dont les influences néo-métal ne font aucun doute (en témoigne leur album Venom à écouter en intégralité à la fin de cette missive). DeLorean, vortex temporel, élixir de jouvence et tout le toutim ! Basses à la Prodigy (Do It So Good), refrains à la Meteora (Sonic Dog Tag), lyrics à la Limp Bizkit (Venom), tout y est ! Pas étonnant que le camarade Fred Durst soit venu poser son flow sur le plus-que-bien nommé et explosif Bang Ya Head ; un featuring en forme d’adoubement pour l’un des albums les plus marquants de 2023 !

Ces gamins là ont su faire résonner ce qui avait déjà émoustillé toute une génération au début des années 2000. Parler de l’ennui des gamins de prolos, de banlieue ou de province, de l’éducation par les médias lobotomisants (hier la télé, aujourd’hui les réseaux) et du rejet d’une société trop conventionnelle. L’esprit du punk n’est jamais loin. Nous n’avions que faire à l’époque des récits rock’n’rollesques et jet-setés des Stones et du Zeppelin. Ce que nous voulions, c’était des hymnes pour accompagner nos crises adolescentes, aussi futiles soient-elles. En ce sens, les lyrics de Blind, Numb ou Break Stuff furent de réels parcours initiatiques.

Le mien d’apprentissage fut des plus monomaniaques. À une époque où je ne me souciais guère de ce qu’était le krautrock, le sludge ou le post-hardcore, mon temps d’écoute musicale était constitué alors à près de 50 % des titres de System Of A Down. Avec le quatuor arménien, j’ai tout appris, inscrit dans mon ADN tous les réflexes qui sont encore les miens aujourd’hui. Découvrir un classique et l’écouter jusqu’à la déraison avec Toxicity. Se découvrir une préférence pour les premiers albums, plus purs, plus foutraques, en découvrant à posteriori leur opus éponyme. Apprendre aussi ce qu’est la déception après plusieurs années d’attente avec Hypnotize. Et puis, découvrir ce que signifie être un groupe militant et ce, avec à peu près n’importe quel titre des gaillards.

Tout ça, je ne l’ai pas appris avec ton prétendu « retour du rock ». Ce terme que tu as créé de toute pièce pour éviter de voir la réalité en face. Prétendre que le rock était parti au mitan des nineties pour mieux le faire revenir, une fois l’an 2000 passé, sous un jour qui te convenait mieux, plus présentable, plus petit bourgeois. Mais pendant que tu te pignolais sur les niaiseries des Strokes, la jeunesse, elle, s’en allait se défouler ailleurs. D’ailleurs, qu’ont-ils réellement apporté au rock tes Strokes, peux-tu seulement me le dire ? La vérité c’est que ces gars-là œuvraient en réalité secrètement pour l’industrie du jean slim et pis c’est tout. Oh bien sûr, ils n’étaient pas les seuls et cela serait mentir de dire qu’on a passé un mauvais moment avec les White Stripes mais qui oserait clamer qu’Elephant a eu le même impact générationnel que Meteora ? De l’album culte pour intellectuel rock dans son fauteuil en cuir mais rien qui ne fasse réellement vibrer les kids.

Et non content de nous avoir refourgué à l’époque la plus grande escroquerie de la rockologie moderne, tu voudrais maintenant nous faire le coup du retour du retour du rock ? Mec, les come-backs de Gossip et des Hives n’excitent que tes potes à vestes en velours ! La jeunesse a parlé. Et ce qu’elle veut, c’est des baggys et du headbang cracra, pouvoir beugler du Linkin Park, nu, ivre et en larmes à quatre heures du matin sans se soucier d’un éventuel crime de lèse-majesté rockologique.

Le néo-métal, tel un cafard en temps d’apocalypse, aura survécu à tout et, que tu le veuilles ou non, son armée de fanatiques est prête à prendre le pouvoir et à écrire le grand récit, sans toi.

Alors, qu’on se le dise: il est l’heure.

Foutez vos casquettes à l’envers.

Ressortez les pantacourts.

Désormais, l’histoire est de notre côté.

Résonnent au loin les accords kornesques de Blind.

Pour le revival des Interrockations, il faudra attendre encore une vingtaine d’années.

Pour les soutenir maintenant, en revanche, il te suffit de t’abonner.

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